Strasbourg, le 22 janvier 2010,
Nous sommes nombreux à avoir reçu ces derniers jours un courriel envoyé par M. Patrick Binder du front national invitant à « un sursaut alsacien » et à lire un programme pour une identité alsacienne version frontiste. Il se trouve qu’il reprend un slogan que l’association ICA 2010, que je préside, utilise depuis quelques mois déjà.
Je saisis l’occasion pour affirmer fortement qu’il n’existe aucun lien, ni physique, ni philosophique entre ce parti et notre association et que le projet politique global pour l’Alsace, qui est le nôtre, est l’antithèse du programme du FN.
Nous défendons l’idée d’une identité alsacienne ouverte et plurielle, elle-même inscrite dans une identité française une et diverse. Nous reprenons à notre compte le concept cher à Sternberger et à Habermas pour situer les deux dans le post-nationalisme, en tant que fondement de la nécessaire et incontournable union dans la diversité. Toutes choses dont la lecture doit provoquer un haut-le-cœur aux amis de M. Binder.
La défense d’une identité alsacienne riche de toutes ses composantes passées et présentes ne se justifie que si ce que l’on veut pour soi, est aussi voulu pour les autres. Ce principe d’égalité est la condition sine qua non pour que la diversité puisse générer de l’union, pour que les diversités puissent vivre unies. – Reconnaissance accordée et respect obtenu ont partie liée -.
Cela suppose évidemment que l’identité nationale française soit elle-même reconnue dans sa pluralité, c’est-à-dire une « francitude » fondée sur une culture plurielle, – ce qui ne signifie pas multiculture ou mozaique -, plutôt qu’une francité repliée et fermée, définie que par l’unicité de sa langue, de son histoire et de sa culture, c’est-à-dire comme un national-communautarisme, comme une ethnie en fait.
La France, ce n’est pas cela. La nation française ne saurait reposer que sur des données objectives. La France, c’est d’abord la réunion de citoyens décidés à partager sentiment d’appartenance et solidarité, imaginaire et volonté, droit et justice. La France, c’est d’abord la culture politique. Qu’est-ce qui distingue un francophone suisse d’un francophone français. Ce n’est évidemment pas la langue. Ce qui fait de l’un un Suisse et de l’autre un Français, c’est la culture politique au sens large du terme, construite et transmise essentiellement par la socialisation. C’est Guillaume Tell et c’est Vercingétorix, c’est-à-dire un récit inculqué.
C’est cette conception d’une « francitude » ouverte et plurielle reposant avant tout sur des principes de droits et de justice que nous défendons comme base d’une nécessaire identité alsacienne elle-même une et diverse.
Le FN a son discours sur l’Alsace et son identité, un discours nationaliste. Il ne fait pas dans « le détail » et n’est pas à une contradiction près pour récupérer des voix… alsaciennes.
Nous invitons les Alsaciennes et les Alsaciens à ne pas tomber dans le piège, et surtout la classe politique alsacienne, à ne pas laisser le FN seul sur un discours soit disant « pro-alsacien », à prendre position et à développer davantage un projet politique pour l’Alsace permettant à celle-ci de vivre une identité riche des ses composantes, de toutes ses composantes passées et présentes, d’être vraie, ce qui nécessite évidemment qu’elle nous rejoigne sur le principe du post-nationalisme, pour le moins qu’elle prenne distance avec un républicanisme d’un autre âge, qui confondant par trop Etat et nation, nationalité et citoyenneté, culture politique et culture française, conduit à la disparition des langues non françaises de France.
Pierre Klein