Pour un Peuple français un et divers
Il n’y a qu’un peuple en France comme il n’y a qu’un peuple en Suisse. Dans les deux cas, le peuple est constitué par une communauté d’individus qui se reconnaissent dans une culture politique, dans un attachement à la loi fondamentale ou constitution et qui partagent un sentiment d’appartenance et une volonté d’agir ensemble. C’est là, une conception subjectiviste du peuple ou de la nation. Une « invention » française. Une autre conception, objectiviste celle-là, définit le peuple selon l’unicité de la langue, de l’histoire, de la culture et du territoire. C’est celle du Volk ou de l’ethnie.
En France, les deux conceptions se conjuguent avec néanmoins une forte propension vers la seconde en raison de la prégnance du républicanisme qui connaît, mais ne reconnaît pas la diversité, celle notamment des langues et cultures dites régionales[2]. Ce faisant, il ne saurait y avoir en France qu’un peuple un et unique.
En Suisse, il en va différemment. La Suisse ne peut s’inscrire dans la seconde conception, parce ce qu’elle reconnaît et pratique quatre langues, quatre communautés linguistiques. Aussi met-elle en œuvre depuis longtemps la première conception et ce faisant elle a inventé ou pour le moins appliqué le post-nationalisme et l’union dans la diversité. Ce faisant, il y a en Suisse un peuple un et divers.
Il y a qu’un peuple en France comme il n’y a qu’un peuple en Suisse. La différence réside dans une autre pensée politique, dans une autre perception de la réalité et dans un autre développement de la démocratie dans ces deux républiques.
En France le peuple est (doit être) un et uniforme. En Suisse, il est un et divers.
Nous devenons Français en ce que nous faisons nôtre, ce que l’on nous présente de la France. Mais ce qui nous est présenté de la France relève bien moins d’une « francitude », ouverte et diverse, fondée sur une culture plurielle, – ce qui ne signifie pas multiculture ou mosaïque -, que d’une francité repliée et fermée, définie principalement par l’unicité de sa langue, de son histoire et de sa culture, c’est-à-dire comme un « national-communautarisme », comme une ethnie. Autrement dit, on nous présente notamment depuis 1793/94, une nation davantage définie comme un peuple (Volk), que comme une association de citoyens. C’est du moins l’expérience de la nation française que font celles et ceux qui voient leur langue dite régionale non reconnue, non promue.
Or, la France, ce n’est pas cela. La nation française ne saurait reposer que sur des données objectives. La France, c’est d’abord la nation subjective, celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, moment oh combien fondateur de la nation française, déclaration qui d’ailleurs ne fait référence à aucune langue. La France, c’est d’abord le pacte civil et social.
On l’a un peu oublié et ce faisant le principe de l’union dans la diversité n’a été qu’insuffisamment installé dans l’habitus français. Celui-ci ne peut se réaliser qu’à la faveur d’un recentrage politique sur l’essentiel à savoir la primauté des principes universels de droit, de justice, de liberté et de solidarité, c’est-à-dire sur la loi fondamentale, qui constitue pour les citoyens un véritable capital social et un incontournable socle commun. Lorsque l’attachement à la loi fondamentale et l’allégeance à l’État de droit sont placés au-dessus de toute autre considération, il devient possible de libérer la culture majoritaire ou dominante de sa propension à vouloir se substituer au pacte civil et social et à installer partout la « mêmeté » (dans le temps) et la « pareilleté » (pour tous). Il est alors envisageable de reconnaître les appartenances multiples et, en partant de là, l’individu dans toutes ses dimensions. Cela implique non de se soustraire aux principes universels, mais au contraire de considérer que ceux-ci ne prennent véritablement leur sens que si les appartenances multiples ne font pas l’objet de discriminations.
Pour ce faire, il s’agit de rompre avec un républicanisme d’un autre âge qui, confondant par trop État et nation, nationalité et citoyenneté, culture politique et culture française, conduit notamment à la disparition des langues non françaises de France, et de reprendre à notre compte un concept cher à Habermas pour situer l’identité nationale dans le post-nationalisme, en tant que fondement de la nécessaire et incontournable union dans la diversité.
Pour aller plus loin, voir
Pour une France une et plurielle
L’exception républicaine française