Novembre 1918 ou comment et pourquoi il fut mis fin à la belle avancée démocratique…
En novembre1918 l’Alsace-Lorraine vit ses derniers jours dans le cadre de l’empire allemand auquel elle avait été intégrée en bonne et due forme par le traité de Francfort en tant que Reichsland (terre d’empire) depuis 1870/71. Passant de la protestation au désir d’une large autonomie, les Alsaciens avait fini par s’adapter à la situation, voire à développer une certaine loyauté à l’égard d’un cadre juridique, économique, social (la classe ouvrière bénéficie d’avantages sociaux très en avance sur leur temps) et culturel des plus modernes, profitant, notamment à partir de 1911, d’une relative autonomie qui lui attribue une Constitution, un Parlement et un Gouvernement. Ce qu’aucune région de France n’a jamais connu… jusqu’à aujourd’hui. Et c’est justement dans ce cadre-là, et pour la première fois de son histoire, que l’Alsace voit naître une conscience « nationale » propre. L’expérience de l’autonomie, pour courte qu’elle fut, marquera néanmoins durablement les esprits. En novembre 1918, la France met fin à tout ceci. Et l’Alsace revient purement et simplement à la case départ, c’est-à-dire au statut qu’elle connaissait avant 1870. Autrement dit à aucun ! Elle n’existait tout simplement pas constitutionnellement. Il n’est pas question de regretter le retour de l’Alsace à la France, ce serait ridicule. Par contre, se plaçant d’un point de vue démocratique, on ne peut que regretter, qu’en des jours aussi décisifs pour l’avenir politique, culturel, linguistique, identitaire, social et économique de la région, que la classe politique alsacienne n’ait pas saisi majoritairement l’occasion de faire reconnaître un statut, qui tout en restant à perfectionner, permettait somme toute à l’Alsace de gérer au plus près et au mieux ce qui la concerne particulièrement, d’exister tout simplement, et du même coup de n’avoir pas donner l’occasion à la France d’évoluer vers plus de démocratie, voire d’exiger qu’elle le fasse. Parce qu’il n’y a de véritable démocratie que dans la séparation verticale et horizontale des pouvoirs. Toutes choses qui n’étaient pas alors clairement établies en France. Le sont-elles aujourd’hui ? C’est là une autre histoire. Voilà ce qu’aurait dû être la véritable révolution de 1918. Mais l’Alsace et encore moins la France n’étaient alors au rendez-vous que leur donnait le principe d’union dans la diversité, qui ici et là restait à concevoir et à construire. Le nationalisme et la loi du plus fort triomphaient ! Mais quel beau cadeau l’Alsace aurait pu faire à la France et à elle-même ! Récit d’un raté de l’histoire.
Révolution en Allemagne
Au cours de l’année 1918 la guerre qui dure depuis 1914 tourne franchement en défaveur de l’Allemagne, surtout depuis que les Etats-Unis se sont rangés avec un très important contingent au côté de la France et de ses alliés. Et en novembre, c’est la révolution. Le régime est renversé, presque sans résistance. La défaite militaire, pour importante qu’elle soit, n’en est pas la seule cause. Durant la guerre s’était développé progressivement à l’arrière du front et au sein même de la troupe un fort et multiple mécontentement qui finira en soulèvement populaire réunissant ouvriers et soldats. C’est dire combien le régime était devenu impopulaire et combien la guerre était devenue insupportable. Plus encore que la rareté, c’est l’inégalité dans la répartition qui déclenchait, depuis 1916, manifestations et grèves. Fin septembre, l’état-major allemand reconnaissait la défaite et poussait à un cessé le feu. Cependant, le président Wilson, qui avait proposé un plan de paix, laissait entendre que sans l’abdication de Wilhelm II., il ne pouvait en être question. En octobre, la classe dirigeante proposait l’établissement d’un régime parlementaire. La tâche était confiée à un nouveau chancelier, Max von Baden. La réforme par le haut devait devancer la révolution par le bas. Trop tard ! Le 28 octobre des marins de Wilhelmhaven se mutinent, alors que l’état-major voulait lancer une ultime offensive générale de la marine allemande. Le 3 novembre le mouvement gagne Kiel où des soldats et des ouvriers s’emparent du pouvoir. La révolution se propage rapidement à tout l’empire. Coups d’Etat ! La première couronne, celle de Bavière, tombe le 7 novembre. A Berlin, le 9, Max von Baden prend les devants annonce de son propre chef l’abdication de Wilhelm II. en tant qu’empereur d’Allemagne et en tant que roi de Prusse. L’empereur, comprenant enfin la situation dans laquelle il avait plongé peuple et pays ne peut que s’y résoudre. Toujours le 9, après la démission de Max von Baden, Friedrich Ebert annonce sa nomination en tant que Chancelier du Reich. Philipp Scheidemann proclame la République démocratique et, de son côté, Karl Liebknecht la République libre et socialiste. Le 10 se constitue dans tout l’empire des conseils d’ouvriers et des conseils de soldats, tantôt les deux à la fois. Ces révolutionnaires travaillent, les uns, à une démocratisation de l’Etat et de la société, les autres, une minorité s’inspirant de la révolution bolchevique, à l’établissement d’un régime sans séparation de pouvoirs et sans partis, à la dictature du prolétariat et à un Etat centralisé qui légifère, gouverne et juge tout à la fois. L’armistice est signé le 11 à Compiègne. La guerre est terminée. La révolution pour plus de démocratie est en marche.
Révolutions en Alsace
A. Les données alsaciennes
1. Incidences françaises. Il est évident pour tout le monde que si la France sort victorieuse du conflit elle revendiquera une souveraineté pleine et entière sur ce qui est encore l’Alsace-Lorraine. Par ailleurs, elle a entretenu sur place depuis 1870 une propagande en sa faveur et y dispose de relais, certes minoritaires, mais puissants. De plus, il règne dans la région un « souvenir français », une nostalgie du pays de la révolution et des droits de l’homme, de sa langue et de sa culture, de son économie et de sa bourgeoisie avec lesquels certains se sont jadis enrichis, de la République et de son centralisme dans lesquels beaucoup ont par le passé trouvé leur compte. Sans oublier les anciens combattants alsaciens de la guerre de 70 qui survivent encore en nombre et contribuent à l’entretien d’une forme de mélancolie. Plus on s’approche de novembre 18, plus cette incidence devient importante, jusqu’à triompher des autres.
2. Incidences allemandes. Il est aussi évident que l’Allemagne, prenant acte de la défaite, va tenter ce qu’elle peut pour conserver néanmoins l’Alsace-Lorraine en son sein. Notamment à cet effet, elle propose en octobre 18 de l’ériger en Etat fédéré au même titre et avec les mêmes prérogatives que les autres Etats dans l’ensemble fédéral. Elle mise aussi sur la création d’un Etat neutre Alsacien-Lorrain et sur un plébiscite, qu’elle s’imagine encore pouvoir gagner et organise une propagande en conséquence. Au fur et à mesure que l’on s’approche de la fin du conflit et surtout lorsque l’empire s’écroule sous la pression du peuple, cette incidence perd en efficacité jusqu’à devenir insignifiante, jusqu’à perdre toute crédibilité.
3. Incidences alsaciennes-lorraines. En 1918, alors que la fin de la guerre se dessine, en même temps que la défaite de l’Allemagne, à laquelle l’Alsace appartient encore, se précise, les tendances politiques présentes dans la région échafaudent pour elle des avenirs différents. Vingt-sixième Etat fédéré à l’Empire, République neutre, République socialiste, statut d’autonomie dans le cadre français, gouvernement provisoire chargé de négocier le retour à la France ou réintégration inconditionnelle à celle-ci, tels sont les projets qui s’élaborent et s’affrontent, glissant progressivement des premiers vers les derniers, jusqu’à ne plus voir d’avenir propre.
4. Incidences américaines. Dans son plan de paix en quatorze points présenté au Congrès des Etats-Unis d’Amérique le 8 janvier 1918, le Président Wilson préconise notamment de d’organiser des plébiscites (autodétermination) dans les pays et régions qui seraient restructurés par les traités en préparation. Concernant l’Alsace-Lorraine, il préconisait au point 8 que les torts causés à la France en 1870 soient corrigés (should be rigthed). Ces propos vont alimenter les représentations mentales. Leur interprétation va donner de l’espoir aux uns et conforter les autres dans leurs certitudes.
B. Les événements alsaciens
1. Le gouvernement Schwander-Hauss. Lorsque début octobre Max von Baden devient chancelier, il propose de modifier la Constitution de l’Alsace-Lorraine de 1911 pour en faire un Etat de plein droit dans la fédération allemande. Le 14, Rudolf Schwander, maire de Strasbourg, membre de la première chambre du Landtag, est nommé Statthalter chargé notamment de mener à terme la transformation souhaitée. Charles Hauss, député au Reichstag et au Landtag, chef de la fraction du Zentrum alsacien-lorrain au Landtag, est nommé premier ministre chargé de former un nouveau gouvernement. Le comte d’Andlau (économie), le chanoine Didio (enseignement) et le pasteur Kuntz (justice) acceptent de participer à ce gouvernement, qui pour légal qu’il soit, paraît pour beaucoup non adapté aux circonstances. Le Zentrum et les socialistes refusent d’y participer. Le premier exclut même ceux de ses membres qui le font.
2. Les conseils d’ouvriers et de soldats ou soviets. Le courant de révolte atteint l’Alsace dans la nuit du 9 au 10 novembre et s’étend rapidement à travers la région. Des conseils, davantage de soldats que d’ouvriers, sont constitués à Strasbourg, Mulhouse, Schiltigheim, Colmar, Haguenau, Sélestat… Le 10 novembre, à Strasbourg, le socialiste Jacques Peirotes se proclame Maire. Sur la place Kléber les camarades Meyer et Rebholz, à la tête des conseils d’ouvriers et de soldats, annoncent en compagnie de Peirotes, que puisque le gouvernement allemand est tombé, le peuple a pris le pouvoir. La République socialiste est proclamée. Coup d’Etat ! Un conseil exécutif est constitué. Ce gouvernement révolutionnaire sera présidé par Rebholz. Parmi ses membres ont trouvent Peirotes, Böhle et Imbs, tous de la Socialdemokratische Partei.
Ces conseils participent au début de la révolution qui a cours en Allemagne. Parmi l’un des premiers mots d’ordre l’on trouve celui-ci « Ni Allemands, ni Français, ni neutres. C’est le drapeau rouge qui est vainqueur ». Il est perçu par certains comme une menace contre la réintégration à la France. Le succès que les conseils rencontre d’emblée s’explique plus par le refus de poursuite de la guerre et par les tensions sociales préexistantes, que par la question nationale. Mais très rapidement, celle-ci prendra le dessus, notamment après le départ des soldats et des socialistes non originaires de la région qui s’en retournent chez eux. Les conseils sont vite récupérés par la bourgeoise et par les socialistes, maintenant majoritairement francophiles, des alliés objectifs prêts à tout céder à la France. Ils sont aussi rattrapés par le principe de réalité, ne pesant pas lourd face à l’armée française, qui se hâte d’entrer en Alsace-Lorraine, invitée en cela par cette même bourgeoise et ces mêmes socialistes, qui exècrent le désordre ambiant ou craignent que le mouvement ne leur échappe. Ces conseils, qui ont su empêcher certains débordements et qui ont contribué au maintien d’ordre et au bon déroulement de la démobilisation, vont tout aussi rapidement qu’ils étaient apparus devenir insignifiants ou se soumettre. Au fur et à mesure qu’elle avancera, l’armée française remettra l’ordre bourgeois en place.
3. Le mouvement neutraliste. Il est essentiellement le fait de l’empire qui prônant la neutralité de l’Alsace-Lorraine y voit un moyen d’éviter le retour de celle-ci à la France et de laisser des portes ouvertes pour le futur. Il sera essentiellement porté par des Alsaciens-Lorrains germanophiles, et oui, il y en avait encore et n’étaient pas insignifiants, réunis dans l’Elsässerbund ou non, qui s’efforcent de faire une contre propagande à la propagande française. Ils plaident aussi pour l’autodétermination. De courte durée, une bonne semaine, il s’effondre lorsque le régime allemand est renversé.
4. Au Reichstag. L’Alsace-Loraine envoyait 11 députés au Reichstag à Berlin. Elle disposait aussi de 3 sièges au Bundesrat. En ces jours de fin de règne, l’abbé Haegy est le dernier à y prendre la parole. Il y fait une déclaration le 25 octobre dans laquelle il reconnaissait qu’il était difficile de concilier les intentions du paragraphe 8 du plan Wilson avec celle de créer un nouvel Etat fédéré, mais espérait-t-il que lors de la conférence de paix, lorsqu’il sera discuté du sort de l’Alsace-Lorraine, il soit tenu compte du désir du peuple alsacien-lorrain de pouvoir disposer de son avenir. La veille, Ricklin avait indiqué que dorénavant la question de l’Alsace-Lorraine était une question internationale et que le soutien à la modification de la constitution n’avait pas lieu d’être. Tous deux étaient des représentants éminents du Zentrum qui venait de lâcher son chef Charles Hauss. Il est vrai que l’empire s’écroulant, la position de ce dernier ne tenait plus.
5. Le Landtag. Issu de la Constitution de 1911, il se compose de deux chambres, la seconde étant élue au suffrage universel direct. Cette dernière se compose de 24 élus du Zentrum alsacien-lorrain plus 2 apparentés, de 10 du Lothringer Block, de 11 de la social-démocratie, de 11 démocrates et libéraux et de 2 indépendants, soit en tout 60 députés. Eugème Ricklin en est le président. Le Zentrum est un parti essentiellement alsacien, catholique et social. Il est à l’origine du slogan « l’Alsace aux Alsaciens ». Il est partagé entre les partisans d’une modification de la Constitution vers plus de pouvoir et ceux de la neutralité. Mais on y trouve aussi des éléments du parti pris français. Le Lothringer Block est un parti lorrain catholique qui, subissant souvent la pression du grand capital lorrain, n’est pas toujours en accord avec le Zentrum. La social-démocratie est un parti qui s’étend à tout l’empire. Les tenants de l’Allemagne et de la France y sont pratiquement à égalité. Les démocrates de la Elsass-Lothringische Volkspartei sont assez proches des radicaux français. Les liberaux essentiellement protestants sont très partagés, quant à la question nationale. Celle-ci traverse tous les partis. Il est difficile d’y voir très clair, parce que tout le monde ne prend pas toujours ses responsabilités, certains suivant une stratégie d’évitement, d’autres craignant pour leur avenir politique. Le Nationalbund, parti pro français de Wetterlé, n’avait pas d’élus au Landtag.
Le Landtag n’est représentatif, dans le cadre d’une démocratie représentative du peuple d’Alsace-Loraine que pour les domaines qui lui sont propres. Par ailleurs, si la constitution de 1911 constituait bien un Etat, une tutelle demeurait. Ce qui fait que la représentation populaire restait divisée à son sujet. Pour les uns, elle allait trop loin et pour les autres elle n’allait pas assez loin. Pour ces raisons notamment, lorsqu’en novembre 18 le pouvoir s’effondre, le Landtag est impuissant et ne peut s’y substituer. Il trouvera, escompte-t-il une solution en s’érigeant en assemblée nationale ou Nationalrat. A ce moment de l’histoire le Zentrum est partagé entre les partisans de l’autodétermination et de la négociation conditionnelle du retour de l’Alsace à la France et les partisans d’un retour inconditionnel.
6. Le Nationalrat. Le conseil national est réuni par Ricklin le 11 novembre. Ce dernier prenant acte qu’il n’y a plus d’empire, déclare que par conséquent la souveraineté revient au peuple et à ses représentants élus au Landtag dont la deuxième chambre est proclamée assemblée nationale ou Nationalrat. Dès fin octobre, la majorité des membres du Landtag avait retiré leur soutien au gouvernement Schwander-Hauss. Coup d’Etat ! Un gouvernement était constitué. Présidé par Ricklin, il est composé notamment de Burger (justice), de Heinrich (économie), de Pfleger (intérieur)… On y trouve également Peirotes. De leur côté Schwander et Hauss démissionnent. Ainsi, selon Ricklin l’Alsace-Lorraine dispose légitimement d’un pouvoir capable de négocier l’obtention d’un plébiscite et son retour à la France, avec l’espoir de préserver les libertés alsaciennes. Mais Ricklin, les choses se renversant très vite et les intentions s’affichant, est désavoué dès le lendemain par le Lothringer Bock et par l’abbé Delsor à la tête d’une majorité qui a maintenant pris le parti d’un retour inconditionnel à la France. Ricklin est remplacé par Hoen à la tête du gouvernement, Delsor prenant celle du Nationalrat. Certes, l’initiative de Ricklin, somme toute audacieuse et révolutionnaire, ne pesait pas d’un poids bien lourd face aux ambitions françaises, mais essayer d’arracher des pouvoirs spécifiques pour l’Alsace, cela valait la peine. L’obtenir n’aurait pas fait s’effondrer la France. Mais il était insupportable à la France d’avoir à négocier. Le 5 décembre le Nationalrat, voulant donner l’illusion d’une passation démocratique du pouvoir, se croit encore obligé de faire allégeance à la France par laquelle il a été superbement ignoré.
7. Les principaux protagonistes alsaciens
Ricklin : médecin, membre du Zentrum, député au Reichstag, président de la deuxième chambre du Landtag, partisan dès 1917 de la constitution d’un Etat alsacien-lorrain fédéré, ce qu’on lui reprocha au sein même de son parti, puis de la négociation avec la France pour obtenir des garanties, quant aux libertés alsaciennes. Après guerre, il est condamné par une commission de triage et interné de mars 1919 à janvier 1920 à Kork.
Hauss : journaliste, membre et chef du Zentrum, député au Reichstag et au Landtag, chef du gouvernement Schwander, partisan de l’Etat fédéré, désavoué par son parti fin octobre 18. Après guerre, il n’a plus de mandat d’élu.
Delsor : prêtre, journaliste, d’abord partisan d’un Etat fédéré, il considère la Constitution de 1911 comme un recul, élu au Landtag, membre du Zentrum dont il démissionne en 1917 pour se désolidariser de Ricklin et de son positionnement de 1917, malgré sa francophilie il ne sera pas membre du Nationalbund de Wetterlé. Après guerre, il est sénateur.
Peirotes : journaliste, socialiste, membre du Landtag, du conseil exécutif des soviets et du gouvernement du Nationalrat, partisan sans condition du retour pur et simple à la France, refuse l’autodétermination qu’il exigeait jusqu’au événement de 1918. Après guerre, il est maire de Strasbourg, conseiller général et député à l’Assemblée Nationale.
C. L’ultime coup d’Etat
En novembre 18, la France met fin à la démocratie alsacienne avec l’engagement très actif de la fraction francophile, son heure était venue, qu’elle fut bourgeoise, de la social-démocratie ou des deux, qui, ce n’est un paradoxe qu’en apparence, réclamait l’autodétermination, l’autonomie, le bilinguisme et la « double culture» comme fondement de l’identité alsacienne avant 1918. Avec aussi l’approbation largement obtenue en raison de la conjoncture politique de la majorité de la classe dirigeante alsacienne, mais on ne lui a pas demandé son avis. Avec le consentement largement obtenu en raison des circonstances du peuple d’Alsace-Lorraine, mais on ne lui encore moins demandé son avis, qui à ce moment de l’histoire ayant trop souffert de la dictature militaire, qui sévissait depuis 1914, des pertes humaines sur les champs de bataille et des privations due à la guerre, ayant alors pris ses distances par rapport à l’Allemagne et ayant subi d’énormes pressions et de conséquentes manipulations de la part de la France, ne veut plus exister en tant que tel. Pour le moins, il est en train d’agir pour ne plus le pouvoir.
Comment expliquer autrement l’acceptation momentanée du retour à la case départ, c’est-à-dire l’intégration pure et simple à un régime des plus centralistes et qui, plus est, mène un véritable Kulturkampf contre les Eglises. Alors que l’Alsace reste une terre de religion. Comment comprendre autrement le renoncement à une démocratie alsacienne qui permettait somme toute à l’Alsace, reconnue comme corps intermédiaire, de légiférer dans les domaines qui lui sont propres. Comment appréhender autrement le fait que la lutte pour le maintien de la séparation verticale des pouvoirs, voire de son développement, dans le cadre français n’a pas été menée par ceux qui auraient pu et dû le faire. Leur responsabilité est grande au regard de l’histoire. A leur décharge, il faut dire que les dés étaient jetés par avance et que le pouvoir de faire ou de ne pas faire était ailleurs, en France, chez le vainqueur. En faisant fi de la représentation « nationale » alsacienne-lorraine et en ne demandant pas l’avis au peuple d’Alsace-Lorraine, la France par excès d’orgueil opère un véritable coup de force et laisse planer un doute. Les conséquences en seront le malaise alsacien, un doux euphémisme, de l’entre-deux-guerres, qui sera une véritable crise politique au cours de laquelle une partie importante de la classe politique alsacienne redonnera (enfin) du sens à la lutte pour la défense des libertés alsacienne dans le cadre français. La figure de proue en sera Camille Dahlet. Mais c’est là une autre histoire. PK