Il est à nouveau question de la différenciation en tant que mode de gouvernement dans les Hautes sphères de la République et déjà on entend les tenants du statu quo, les jacobins pour ne pas les nommer, pousser des cris d’orfraie. A les entendre, cette réforme poserait un problème grave du point de vue de l’unité nationale.
Certes, comme ils l’entendent, l’unité nationale peut être construite sur le principe de l’union dans l’uniformité, en l’absence de différenciation donc. C’est amplement le cas de la France qui, caractérisée par la crispation sur l’homogénéité du bien commun, la mythification de l’unicité de la volonté populaire, la complète confusion de l’État et de la nation, l’égalitarisme ou passion de la similitude, la réduction politique et culturelle de la France à Paris, a créé des « territoires » neutres d’histoire, sans identité, sans réel pouvoir et ayant tous les mêmes propriétés ou presque.
Pour les régions, ces données se sont aussi traduites par une certaine entropie culturelle, par un certain étouffement des initiatives et des potentialités. La sous-estimation du besoin d’appartenance de proximité a également contribué à l’affaiblissement du lien social.
Mais l’unité nationale peut aussi être fondée sur le principe de l’union dans la diversité. Ce principe, opposé aux jacobins par les girondins, devient une réalité à la faveur d’un recentrage sur l’essentiel, à savoir la primauté des principes universels de droit, de justice, de liberté et de solidarité. Une fois fondée sur l’attachement à ces principes et sur l’allégeance à l’État de droit, l’union peut, non seulement s’ouvrir à la diversité, mais aussi s’enrichir des différences.
On voit plus loin de la plateforme de la cathédrale de Strasbourg que de celle de la tour Eiffel. On voit que sur l’autre rive dans le Land de Bade-Wurtemberg ou dans le Canton Bâle-Campagne, par exemple, qu’un autre développement de la démocratie est à l’œuvre, celui du fédéralisme dont la différenciation constitue la quintessence, sans pour autant que l’unité nationale de l’Allemagne ou de la Suisse ne soit menacée. C’est peut-être même bien le contraire.
On nous répondra, mais la France, ce n’est pas cela. D’accord, on nous ne le dit que de trop. Tout cela ne relève-t-il pas de la culture politique, de sa construction et de sa diffusion. Celle autour de l’union dans la diversité est diffusée là-bas, celle autour de l’union dans la l’uniformité ici. Faut-il néanmoins persévérer dans l’erreur, alors que l’évidence brille devant nous ?
La France a le niveau de dépenses publiques par rapport au PIB le plus élevé d’Europe, sinon du monde, sans pour autant que cela se traduise par un niveau de bien-être collectif inégalé. Par ailleurs, les dépenses des administrations publiques, la dette publique brute, les prélèvements obligatoires et le déficit public battent également des records. N’en rajoutons pas[1].
La cause principale de tout cela pourrait bien, en grande partie, résider dans le centralisme, c’est-à-dire dans l’absence réelle de différenciation. Ce n’est sans doute pas pour rien que le gouvernement se préoccupe d’un changement de philosophie politique.
Pierre Klein, président
[1] Pour aller plus loin : https://www.ica.alsace/actes-du-colloque-region-regionalisation-regionalisme/