Madame, Monsieur,
Dans un courrier reçu de l’Élysée en relation avec d’un colloque que nous organisions sur les langues de France, il était dit « soyez certain que la France mettra en œuvre les engagements qu’elle a pris au titre de la charte européenne des langues régionales ou minoritaires. »
Mais comment contourner les obstacles majeurs que constituent les arrêtés du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État qui excluaient la ratification ?
1. Une proposition de loi constitutionnelle ?
Selon l’article 89 de la constitution, une proposition de loi constitutionnelle suit le même parcours qu’un projet de loi. Elle n’est pas soumise au Congrès (les 2 assemblées réunies). En France, une loi constitutionnelle est une loi de révision de la Constitution qui en modifie, abroge ou complète des dispositions. Elle doit être adoptée par les deux assemblées constituant le Parlement en termes identiques. La révision de la Constitution est définitive après avoir été approuvée par référendum.. Cependant, lorsqu’il s’agit d’un projet de loi, le Président de la République peut décider de ne pas la soumettre à référendum, mais à l’approbation du Congrès du Parlement (réunion de l’Assemblée nationale et du Sénat), qui doit se prononcer à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés.
2. Le gouvernement a semble-t-il retenu la procédure de la loi constitutionnelle.
En effet, à Quimper, vendredi 13 décembre, le premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a indiqué qu’une proposition de loi constitutionnelle a été déposée le 10 décembre à l’Assemblée nationale par le groupe socialiste. Elle devrait être discutée le 22 janvier 2014, dans le cadre de la semaine d’initiative parlementaire du groupe socialiste.
Si elle est adoptée par l’Assemblée nationale et le Sénat, elle permettra d’ajouter à la constitution un article rendant possible la ratification. Cet article pourrait être le suivant : « La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, complétée par sa déclaration interprétative. »
3. Des interrogations demeurent.
Une majorité simple pourrait-elle être trouvée à la fois à l’Assemblée nationale et au Sénat sur le même texte ? Gageons que les représentants du peuple auront à cœur d’inscrire dans le marbre à travers la Charte européenne, et la reconnaissance des langues régionales ou minoritaires, et un statut leur assurant une véritable existence sociale et culturelle. Oh, il y aura d’archaïques réticences de la part des tenants d’une francité repliée et fermée, définie comme une ethnie et opposée à une francitude ouverte et diverse reposant sur une culture plurielle. Nous appelons nos députés et sénateurs Alsaciens à s’investir à fond dans la démarche entreprise et à apporter leur part à l’adoption de la loi.
4. Reste le référendum !
Il est bien connu que très généralement le débat est généralement placé au niveau de la politique générale et qu’il fait dévier les électeurs de la question posée. C’est un risque majeur. Par ailleurs qu’elle sera l’attitude d’un électorat totalement sous informé quant à l’existence même des langues régionales ou minoritaires de France, mis à part leurs locuteurs qui additionnés et ne représentent qu’une forte minorité de l’électorat, et quant à leur problématique. Tant cette dernière a été « tabouisée », néantisée et dénie, qu’une sérieuse et conséquence action pédagogique doit être mise en œuvre, et là aussi nous attendons l’engagement des élus, notamment Alsaciens, afin d’éclairer et de convaincre l’ensemble de l’électorat français, parce qu’évidemment, il n’y a pas que les locuteurs qui sont consultés, de l’intérêt pour la France de ratifier enfin la charte européenne des langues régionales ou minoritaires, et de la nécessité d’inscrire la République dans les très européens principes de l’union dans la diversité et du postnationalime.
5. Ou alors le Congrès
Si le gouvernement décide finalement d’adopter la procédure de projet de loi qui nécessitera de passer par le Congrès et d’y obtenir 3/5 des suffrages exprimés, la même inquiétude demeure que pour le référendum, les mêmes causes ayant les mêmes effets. Et le même engagement des élus Alsaciens est souhaité, notamment auprès de leurs collègues.
6. Expectative et perplexité
Si le gouvernement est sincère dans sa proposition d’inscrire la ratification de la charte européenne dans la loi fondamentale, ne lui faisons pas l’affront de ne pas y croire, il se montre à la fois courageux et porteur de modernité. Mais la tâche sera difficile et l’issue est incertaine. Nous pouvons nous attendre à une levée de boucliers de la part des souverainistes et autres nationaux-républicains (de l’extrême droite à l’extrême gauche), des gardiens du temple d’une francité définie comme une ethnie. (une nation, une langue
7. Quoi qu’il en soit
Nous demandons au pouvoir exécutif de faire inscrire dans la loi les 39 mesures adoptées lors de la signature de la charte. Cela peut se faire sans passer par la procédure de ratification. Nous demandons également que les régions concernées par ces langues se dotent de Chartes linguistiques constitutives d’une réelle politique linguistique et culturelle régionale en leur faveur. Nous demandons enfin que les différents pouvoirs, nationaux, régionaux, départementaux et communaux mettent d’ores et déjà pleinement en œuvre tous les moyens dont ils disposent pour assurer le développement de ces langues. Et, en vertu du principe démocratique qui veut que tout ce qui n’est pas expressément interdit est autorisé, beaucoup, mais vraiment, beaucoup de choses sont d’ores et déjà faisables. En tout cas bien plus que ce qui est fait. La France, fait connu, s’est construite autour de la généralisation de la pratique de la langue française. Cette généralisation est aujourd’hui acquise et elle n’est ni menacée ni remise en question. Le français est la langue commune de tous les Français. Doit-il pour autant être la langue unique ? Rappelons qu’une langue ne peut véritablement vivre et survivre que si elle bénéficie d’un statut lui conférant une existence sociale et culturelle pleine et entière. Tout le reste n’est que de la poudre jetée aux yeux ou du grain à moudre.
Pierre Klein, président d’Initiative citoyenne alsacienne pour plus de démocratie (ICA 2010)