Régime local d’assurance maladie (RLAM) : la polémique
- Le régime local
Le régime local d’assurance maladie est une assurance complémentaire et obligatoire propre à l’Alsace et la Moselle. Il constitue en quelque sorte ce qui survit de l’ancienne Krankenkasse mise en place sous le Reichsland (1871-1918). Rappelons que la France n’a généralisé la Sécurité sociale qu’en 1945. Il vient en complément du régime général d’assurance maladie (maladie, maternité, invalidité, décès) concernant l’ensemble de la France. Cette assurance complémentaire fonctionne comme un service public basé sur la solidarité. Il n’est donc pas confié au secteur privé ou marchand. Le RLAM est géré localement par les syndicats de salariés essentiellement. Il est financé par les cotisations des salariés à hauteur de 1,5 % du salaire brut déplafonné. Les retraités y cotisent aussi. Les employeurs n’y cotisent pas et ne participent pas à sa gestion.
Bénéficient du RLAM les salariés du secteur privé travaillant en Alsace ou en Moselle et leurs ayants droit, les chômeurs qui cotisaient au RLAM du temps où ils avaient un emploi et les retraités.
Au total, le RLAM, c’est 2,1 millions de bénéficiaires (1 510 000 assurés et 622 000 ayants droit).
Le régime général couvre 70 % des dépenses de santé. Ses bénéficiaires supportent 30 % de celles-ci, à savoir le ticket modérateur, à moins de cotiser à une complémentaire santé, ce qui est très courant[1]. En Alsace et en Moselle, le ticket modérateur n’est que de 10 %, puisque le RLAM couvre 20 % des dépenses de l’assuré cotisant ou de l’ayant droit.
- Ce qui a changé [2]
- Sur le plan national. Le régime général reste à 70 %, mais les employeurs y compris les associations doivent proposer au salarié une Couverture complémentaire à adhésion obligatoire (CCAO). Cette dernière n’est pas intégrée à la Sécurité sociale, mais est confiée au secteur privé ou marchand (Mutuelles et/ou Assurances). Les salariés et les entreprises doivent y cotiser respectivement à raison de 50 %. La couverture des ayants droit n’est pas obligatoire. L’affiliation doit assurer un panier de soins minimum[3]. Bien qu’une négociation soit prévue entre employeurs et salariés, l’entreprise dispose de la liberté de choix de la mutuelle ou de l’assurance. Le coût de l’affiliation varie en fonction du choix opéré. Une affiliation surcomplémentaire peut être mise en place. Elle est facultative. Les couvertures de santé complémentaires et les surcomplémentaires ne sont donc pas incluses au régime de solidarité nationale et intergénérationnelle de la Sécurité sociale. La Collectivité publique et l’Etat n’y sont pas partie prenante.
- Sur le plan local. Depuis le 1er janvier 2016, un système de complémentaire santé a donc été généralisé à l’ensemble de la France. Le RLAM dispose jusqu’au 1er juillet 2016 pour s’adapter. Le nouveau mécanisme doit alors se surajouter au régime local sans rien changer de celui-ci. Aussi, les salariés continueront-ils de financer 100% de ce régime local qui couvre à peu près 72 % du panier de soins minimum. Les 28% restants seront financés à 50% par les employeurs et à 50 % par les salariés.[4]
- Le point de vue des uns et des autres : avantages et inconvénients de la réforme
- Les assurés. Les assurés du reste de la France se voient dotés d’une mutuelle complémentaire prise en charge pour moitié par l’employeur. La règle veut que seul le cotisant soit assuré. L’assuré est en fait un sociétaire.
- Les mutuelles ou les assurances. Elles voient leur part de marché augmenter et s’en réjouissent évidemment.
- L’Etat. Dans un contexte de globalisation et de remise en cause de l’Etat-providence (Wohlfahrtstaat) l’Etat et la Collectivité publique se sont considérablement placés en dehors du champ d’action de la réforme et le législateur a imposé ce système de complémentaire santé, tout en ne le confiant pas à la Sécurité sociale. On peut même parler d’une forme de privatisation partielle de la couverture santé, la CCAO sortant du champ de la solidarité nationale et interrgénérationnelle.
- Les assurés et ayants droit du RLAM. Les assurés du RLAM se voient d’une part imposer une complémentaire santé qui se trouve d’une part en dehors du champ de la solidarité et qui d’autre part se rajoute au RLAM. Au total, ils cotiseront pour que le RLAM couvre 72 % du panier de soins minimum et à la CCAO pour couvrir les 28 % restants. En l’occurrence, ils supporteront 14 % de ces 28 %. Au total, ils supporteront donc 72+14=86 % du panier de soins minimum. Alors que dans le reste de la France, ce panier est à la charge respectivement pour moitié des employeurs et des salariés.
- Les employeurs. Ceux du reste de la France voient leurs charges patronales augmenter, mais En réalité, dans beaucoup d’entreprises, il existe déjà des accords qui assurent une couverture complémentaire financée en partie par eux. Ceux d’Alsace et de Moselle n’ont pas intérêt à passer au régime commun puisqu’ils verraient leurs charges patronales augmenter.
- Le RLAM. Afin d’éviter que les cotisants au RLAM ne s’en désintéressent, le président du RLAM Lorthiois et son Conseil d’administration proposent notamment que la couverture complémentaire à adhésion obligatoire (CCAO) soit ajoutée à l’existant pour constituer un troisième étage d’une structure qui en Alsace et en Moselle en comporte déjà deux. Ils demandent deux choses :
– que les employeurs paient une partie des cotisations du régime local,
– et qu’avec ces ressources, le régime local puisse prendre en charge l’ensemble du panier de soin, et même au-delà.
- Inégalités et empêchement
Cette solution risque fort d’être retoquée, puisque l’on ne peut toucher au droit local, figé qu’il est, et donc à terme condamné faute de ne pouvoir être adapté aux inévitables évolutions sociales et sociétales.
Par ailleurs nous l’avons vu, la réforme amène les Cotisants au RLAM à financer 72% du panier de soins minimum plus la moitié des 28% restant à couvrir par le troisième étage de la CCAO. Ce qui représente pour le salarié 72 + 14 = 86 %. Alors que là où le RLAM ne s’applique pas, le panier de soins minimum est supporté à 50 % pour les salariés et à 50 % par l’employeur. Une inégalité de traitement s’installe entre les salariés d’Alsace et de Moselle et ceux du reste de la France.
De leur côté les employeurs du reste de la France cotiseraient à raison de 50 %, alors que ceux d’Alsace et de Moselle le feraient qu’à raison de 14 %. Si donc le RLAM est maintenu en l’état, il y aurait une grande distorsion entre les deux régimes. Au pays de l’égalitarisme absolu, le système serait vite rejeté[5].
- La mission parlementaire
Composée des députés Philippe Bies, Denis Jacquat et des sénateurs Patricia Schillinger et André Reichart, elle préconise pour mettre la réforme en œuvre en Alsace et en Moselle à partir du 1er juillet 2016, de conserver le RLAM, tout en y ajoutant la CCAO. Une structure à trois étages, à laquelle se rajouterait un quatrième si le salarié s’affilie à une surcomplémentaire. Ce serait donc le statu quo et « la solution […] juridiquement la moins risquée » pour conserver le RLAM conclut la mission parlementaire. Cette proposition porte cependant en elle les inégalités évoquées ci-dessus.
- Qui aura le dernier mot ? Qui y laissera des plumes ?
D’ici le 1er juillet 2016, la balle est dans le camp du pouvoir. Qui des salariés ou des employeurs aura gain de cause ? Privilégiera-t-on l’extension du RLAM à tout le panier de soins minimum ou l’extension pure et simple de la réforme avec maintenant du RLAM dans ses caractéristiques actuelles. Les attentes des uns et des autres divergent. Arrivera-t-on à satisfaire les uns et les autres ? Arrivera-t-on à compenser les inégalités et à lever les empêchements ? Dans la négative, le RLAM est à terme rapproché menacé dans son existence. En tout cas, comme toujours, ce qui ne sera pas demandé, ne sera pas obtenu. Aux uns et aux autres de manifester et de faire émerger une forte demande !
Il en va aussi d’une part (importante) du particularisme alsacien, de la part de sa culture économique et sociale et de l’économie sociale de marché (soziale Marktwirtschaft) caractéristique de l’humanisme rhénan. L’Alsace dans tout cela y perdra-t-elle un peu d’elle-même ? Mais c’est chose courante ces derniers temps !
Pierre Klein, président de l’initiative citoyenne alsacienne 23/2/2016
[1] En fait, c’est très variable selon les médicaments et les types de soins et beaucoup de médecins font des « dépassements d’honoraires ». En moyenne, le régime général couvre 50% des dépenses de santé des Français. Les chiffres 70 %ù, 30 % ; 20 % sont de valeurs de références
[2] La loi du 14 juin une couverture collective à adhésion obligatoire (CCAO) dans toutes les entreprises.
[3] Le Régime local d’assurance maladie couvre déjà entre 72% de ce panier de soins minimum.
[4] Cette situation est défavorable pour les salariés Alsaciens et Mosellans qui paieront donc au total 86% (72+28/2) du panier de soins minimum au lieu de 50% comme dans le reste de la France. Une telle inégalité va fragiliser le régime local et les salariés alsaciens finiront par demander sa suppression.
[5] L’arrêt Somodia du Conseil constitutionnel interdit d’élargir le champ du droit local.