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De la reconnaissance à l’habilitation
Monsieur le président,
Madame la Conseillère d’Alsace,
Monsieur le Conseiller d’Alsace,
L’Initiative citoyenne alsacienne (ICA) vous prie de prendre en compte les propositions qu’elle adresse à la Collectivité européenne d’Alsace (CeA) dans le cadre de la consultation « Construisons ensemble l’Alsace de demain » qu’elle organise.
L’Alsace est à vouloir !
Les Alsaciens se trouvent plus que jamais placés devant une alternative : vivre leur altérité et faire valoir le fait régional alsacien ou continuer à se conformer au modèle jacobin qui se veut d’unir les mêmes, en l’occurrence des clones de « territoires » neutres d’histoires et de cultures propres. En fait, l’alternative ne leur est pas offerte. Elle est à trouver et par les Alsaciens eux-mêmes et notamment par ceux qui les représentent au niveau national comme au niveau alsacien dans les institutions politiques, en particulier au Conseil d’Alsace.
Ce qui ne sera pas demandé fortement, ne sera pas obtenu, tant le jacobinisme est implanté dans les consciences françaises, tant le dialogue entre jacobins et girondins est difficile, les premiers forts de leur nombre et de l’habitus français, les seconds largement privés de tribunes et éparpillés, les premiers se voulant gardiens d’une doctrine qu’ils veulent immuable, accusant les seconds de vouloir briser la République et refoulant une partie d’eux-mêmes et les seconds condamnés à l’effacement de leurs différences. À défaut d’être une minorité reconnue, soyons un groupe agissant. Sachons rompre avec la part refoulée de nous-mêmes et avec le mainstream.
L’Alsace est à pouvoir !
L’Alsace doit disposer d’un pouvoir normatif nécessaire et suffisant lui permettant de satisfaire des exigences et des intérêts qui lui sont propres, tout en restant, cela va sans dire, solidaire du reste de la nation et en construisant des solidarités nouvelles, notamment européennes. Si la France était décentralisée, régionalisée, voire fédéralisée, la République ne serait-elle plus une république, la nation ne serait-elle plus une nation et la France ne serait-elle plus la France ? La réponse des uns et des autres sépare ceux qui mettent en avant un pouvoir descendant et indivis de ceux qui souhaitent un pouvoir ascendant et partagé, les républicains et les démocrates, ceux qui ne jurent que par la fusion de l’État et de la nation, de ceux qui préconisent leur dissociation.
Nous ne sommes plus aux temps où la France avait à craindre pour son unité. Elle est acquise. Et les régionalistes n’entendent pas la remettre en question. Bien au contraire, ils sont persuadés qu’un renforcement de la démocratie régionale ne fera que la consolider, principalement parce qu’elle permettra de libérer les initiatives et les énergies, qu’elle mettra fin à l’entropie et qu’elle construira de l’adhésion à la chose publique.
Une réflexion approfondie sur ces thèmes n’est qu’insuffisamment menée en Alsace. On entend souvent dire ici que les choses sont ce qu’elles sont et il n’y a rien à faire, qu’il faut donc « faire avec ». Discours trop souvent entendu et intellectuellement inacceptable. « Faire avec », on ne l’a toujours que trop fait en Alsace. Un vrai savoir-faire alsacien. Ce dossier est des plus sensibles. Nous le savons bien, parce qu’il s’inscrit en opposition à une certaine conception de la nation française et du républicanisme qui la détermine. Devons-nous néanmoins continuer à laisser faire ? Non, un sursaut s’impose !
Les lignes ont bougé
Les lignes ont bougé en Alsace depuis le printemps 2014. Rien ne sera plus comme avant. Mais « l’après » reste à construire. Il s’agit évidemment de ne pas tomber dans les travers du nationalisme et d’opposer un nationalisme alsacien à un nationalisme jacobin[1]. Il s’agit de canaliser les différentes tendances qui se manifestent aujourd’hui, celles qui s’inscrivent dans les valeurs démocratiques. Il s’agit d’engager une large réflexion citoyenne sur l’Alsace de demain, notamment en ouvrant (enfin) grand les médias publics aux débats.
La belle au bois dormant, celle qui se laissait bercer par les bonimenteurs du républicanisme jacobin (ce qui est un pléonasme), celle qui était manipulée par la main invisible des « uniformiseurs », s’est réveillée. Durant sa torpeur, on s’en est pris à l’une de ses langues, la langue allemande qu’il s’agisse du standard ou des dialectes[2]. Que reste-t-il de la germanophonie alsacienne ? Elle est en lambeaux[3]. Durant sa léthargie, on s’en est pris à son histoire et à sa culture qui jamais n’ont été véritablement enseignées ni portées par les médias, sinon celles conformes à la « mémoire imposée »[4]. Durant son indolence, on a opéré un alignement ou une normalisation non seulement linguistique, mais aussi identitaire, économique et politique.
L’Alsace devra plus que jamais, faire entendre sa voix et cette voix devra être portée d’une part par les politiques et d’autre part par les citoyens. Par les politiques, c’est-à-dire par ceux chargés par le corps électoral alsacien de défendre à la fois le bien commun français et les intérêts propres alsaciens. Par les citoyens d’Alsace eux-mêmes. Aux Alsaciennes et aux Alsaciens de s’engager pour les réformes à venir et à obtenir.
De la démocratie régionale
Le Conseil d’Alsace, au regard de ses compétences actuelles est loin de pouvoir mettre en œuvre une politique à la hauteur des enjeux. Il lui revient de sortir de la zone de confort et de batailler afin d’obtenir les pouvoirs et les d’une région. Mais ils ne seront pas suffisants, loin s’en faut. Sont à obtenir :
– un pouvoir normatif trouvant sa traduction dans des pouvoirs réglementaires et à terme dans la possibilité de promulguer des lois régionales pour ce qui concerne les intérêts et les besoins propres à la Région et qui ne relèvent pas expressément du domaine régalien.
– un pourvoir administratif : les directions régionales de l’État (alimentation, agriculture, forêt, culture, environnement, aménagement…) deviendraient des directions de la Région.
– un pouvoir fiscal : le maintien dans la Région d’une part des impôts prélevés dans la Région, évidemment sans remettre en cause l’indispensable solidarité interrégionale.
Le Conseil d’Alsace devra fortement et fermement militer en amont en faveur d’une nouvelle répartition des pouvoirs et des compétences. Un nouveau pacte entre l’État et les Régions serait à obtenir : ces dernières devraient pouvoir gérer ce qui ne relève pas expressément de l’État, autrement dit, tout ce qui n’est pas régalien. Cependant eu égard au mode de gouvernance français, obtenir une cogestion d’éléments que l’État considère comme étant régaliens avec les collectivités serait déjà un grand pas en avant. Ne doutons de l’efficacité de telles cogestions. Leur mise en œuvre pourrait amener l’État à rompre avec sa méfiance traditionnelle de l’État à l’égard du fait régional. Le grand soir du fédéralisme intérieur français que constitue un vrai pouvoir régional n’étant pas pour demain, l’Alsace pourrait, devrait proposer et obtenir cette innovation.
Le Conseil d’Alsace devra aussi fortement et fermement militer en faveur de l’application de la Charte européenne de l’autonomie locale qui affirme notamment « le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques », de l’application du très européen principe de subsidiarité. On ne saurait être une collectivité dite européenne sans vouloir mettre en œuvre les préconisations des Institutions européennes.
Le Conseil d’Alsace ne saurait être véritablement alsacien s’il ne mettait pas tout en œuvre afin que l’Alsace disposât des outils permettant, notamment au travers de la socialisation, la mise en commun et en valeur des éléments structurants de l’identité alsacienne. Non pas par simple souci de préserver une tradition à jamais figée, d’ailleurs grandement perdue, mais pour permettre à toute Alsacienne et à tout Alsacien de se définir, de se repérer, d’être soi-même et de se projeter dans son environnement. Il s’agit d’assurer, dans un même mouvement, une meilleure intégration au collectif pour un meilleur développement personnel, singulièrement en promouvant une identité alsacienne ouverte et plurielle, inscrite dans les principes universels de droit, de liberté et de justice, sachant que pour ce faire le droit à la différence et la reconnaissance de l’altérité doivent eux aussi être portés au rang des principes universels. Si on ne naît pas Alsacienne ou Alsacien, chacune ou chacun doit pouvoir le devenir.
Pour tout dire, le Conseil d’Alsace devra batailler pour obtenir sa transformation en Collectivité alsacienne à statut particulier !!!
Pierre Klein, président
[1] Car le jacobinisme en est un !
[2] « Une langue que l’on n’enseigne pas est une langue qu’on tue. Tuer une langue est un crime » (J. Julian)».
[3] Et la question de la ratification par la France de la charte européenne des langues régionales et minoritaires après un feu de paille au début de 2014 est retournée dans un tiroir.
[4] Le devoir de mémoire implique la diversité des mémoires.