Monsieur le Président
de la République
François Hollande
Habités par une mémoire
Mobilisés par un projet,
Le Président Initiative Citoyenne Alsacienne,
Huttenheim, le 15 mai 2012
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République
François Hollande
Monsieur le Président, un grand nombre de Français comptent sur vous pour opérer une rénovation de la démocratie et de l’identité françaises, d’une part en poussant en avant la nécessaire décentralisation devant déléguer aux Collectivités Territoriales plus de compétences, et d’autre part en ouvrant davantage l’habitus français au post-nationalisme.
1. De l’identité française (démocratie culturelle)
Toute identité naît de l’identification. Toute identité est d’abord personnelle, évolutive et multiple. Il n’y a d’identité collective, et donc nationale, que dans la rencontre entre des identités personnelles, des individus. Ainsi, l’identité nationale résulte-t-elle d’une mise en commun d’un sentiment d’appartenance et d’une volonté partagée d’être et de vivre ensemble. Elle est d’abord subjective, imaginée, représentée. La question est de savoir comment s’opère la construction de ce sentiment et de cette volonté. Le lien et la solidarité naissent de l’identification individuelle et de la transmission collective. D’une part, nous voulons être ceci ou cela, et d’autre part nous sommes largement formaté pour être ceci ou cela. Autrement dit nous formons la nation et la nation nous forme. On ne naît pas Français, on le devient !
Nous devenons Français en ce que nous faisons nôtre, ce que l’on nous présente de la France. Mais ce qui nous est présenté de la France relève bien moins d’une « francitude », ouverte et diverse, fondée sur une culture plurielle, – ce qui ne signifie pas multiculture ou mosaïque -, que d’une francité repliée et fermée, définie principalement par l’unicité de sa langue, de son histoire et de sa culture, c’est-à-dire comme un « national-communautarisme1 », comme une ethnie. Autrement dit, on nous présente notamment depuis 1793/94, une nation davantage définie comme un peuple (Volk), que comme une association de citoyens.2 C’est du moins l’expérience de la nation française que font celles et ceux qui voient leur langue dite régionale non reconnue, non promue.
Or, la France, ce n’est pas cela. La nation française ne saurait reposer que sur des données objectives. La France, c’est d’abord la nation subjective, celle de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, moment oh combien fondateur de la nation française, déclaration qui d’ailleurs ne fait référence à aucune langue. La France, c’est d’abord le pacte civil et social.
On l’a un peu oublié et ce faisant le principe de l’union dans la diversité n’a été qu’insuffisamment installé dans l’habitus français. Celui-ci ne peut se réaliser qu’à la faveur d’un recentrage politique sur l’essentiel à savoir la primauté des principes universels de droit, de justice, de liberté et de solidarité, c’est-à-dire sur la loi fondamentale, qui constitue pour les citoyens un véritable capital social et un incontournable socle commun. Lorsque l’attachement à la loi fondamentale et l’allégeance à l’Etat de droit sont placés au-dessus de toute autre considération, il devient possible de libérer la culture majoritaire ou dominante de sa propension à vouloir se substituer au pacte civil et social et à installer partout la « mêmeté » (dans le temps) et la « pareilleté » (pour tous). Il est alors envisageable de reconnaître les appartenances multiples et, en partant de là, l’individu dans toutes ses dimensions. Cela implique non de se soustraire aux principes universels, mais au contraire de considérer que ceux-ci ne prennent véritablement leur sens que si les appartenances multiples ne font pas l’objet de discriminations.
Pour ce faire, il s’agit de rompre avec un républicanisme d’un autre âge, qui confondant par trop Etat et nation, nationalité et citoyenneté, culture politique et culture française, conduit notamment à la disparition des langues non françaises de France, et de reprendre à notre compte un concept cher à Habermas pour situer l’identité nationale dans le post-nationalisme, en tant que fondement de la nécessaire et incontournable union dans la diversité.
1 Une forme de communautarisme, qui même s’il est légal et légitimé, n’en est pas moins un. Comment appeler autrement une conception qui revient à ethniciser la nation et à ostraciser l’altérité. N’a-t-il pas été dit que la France « connaissait, mais ne reconnaissait » pas les langues et cultures dites régionales.
2 « … la définition de la France révolutionnaire était essentiellement territoriale ; pour un Lazare Carnot, la nationalité était entièrement déterminée par la citoyenneté. En particulier la langue française ne constituait pas en théorie, un critère de nationalité. En pratique cependant, plus une nation se prétendait une et indivisible comme la France et plus l’hétérogénéité en son sein la gênait. Ainsi dans un Etat comme la France, le critère linguistique a-t-il finalement tendu à s’imposer dans la définition de la nationalité ». T. de Montbrial in Le Monde du 17/10/2001.
Si pour nous Alsaciens, il s’agit de défendre et de promouvoir une identité alsacienne ouverte et plurielle, il s’agit pour l’ensemble des Français de défendre et promouvoir une identité française une et diverse. Toute chose qui reste à venir et à obtenir.
Dans cet état d’esprit, un grand nombre de Français comptent sur vous pour, comme vous l’avez promis, faire ratifier le Charte européenne pour les langues régionales ou minoritaires. Une loi ou des Chartes régionales3 devant conférer aux langues régionales une véritable existence sociale et culturelle devraient accompagner cette ratification.
2. De la décentralisation (démocratie locale)
« Tout en opérant des avancées considérables en matière de droits, de libertés et de progrès social, la France n’a jamais entrepris une véritable prise en compte du fait régional ; les collectivités territoriales ne constituant, pour le mieux, que des modalités d’organisation administrative, même si des ouvertures ont été obtenues. La chose est bien connue et maintes fois dénoncée, et pas par les moindres, mais jamais vraiment réformée.
La réforme est-elle impossible ? Bien sûr que non. Toutes les démocraties environnantes l’ont opérée, pour certaines depuis fort longtemps. Voudra-t-on enfin considérer que la (re)légitimation de l’Etat et son efficacité résultent en premier du partage du pouvoir, de son rapprochement de ceux qui le subissent et de la participation que ce partage génère. Voudra-t-on enfin ne plus sous-estimer la permanence du besoin de solidarité et d’appartenance de proximité dont la satisfaction est garante de lien social. Voudra-t-on enfin inclure le fait régional en conférant aux régions un véritable pouvoir et en établissant une réelle responsabilité-solidarité dans la vie de la nation en vertu du principe de subsidiarité.
Ces dernières devraient alors se voir reconnaître de nouvelles compétences selon des attributions définies par un statut relevant du droit commun, notamment pour tout ce qui n’est pas expressément du ressort de l’Etat (pouvoirs régaliens) en application du principe de subsidiarité, et notamment pour tout ce qui touche à l’enseignement des langues, des histoires et des cultures dites régionales.
Rien ne s’y oppose. Surtout pas la Constitution qui d’ores et déjà permet des expérimentations et qui prévoit que « les collectivités (territoriales) s’administrent librement par des conseils élus dans les conditions prévues par la loi » (article 72). Constitution dont la rédaction de l’article 37 relatif au pouvoir réglementaire n’interdit pas, si l’on veut bien interpréter de manière moderne et dynamique les termes de « libre administration » des collectivités locales et le « caractère réglementaire » des normes, une dévolution d’un certain pouvoir normatif accordé à des assemblées politiques régionales.
L’Alsace, qui voit ce qui se fait ailleurs, est bien placée pour appeler la France à une nouvelle gouvernance, à une régénération de la République fondée sur l’acceptation de la pluralité et de la multipolarité, non pour elle-même, mais pour la démocratie, par impératif catégorique.
3 Voir SVP en pièce jointe l’Appel en faveur d’une charte linguistique pour l’Alsace lancé en 2012 par notre association et qui a déjà recueilli la signature de plus de 2200 personnalités représentatives du monde politique, économique et culturel alsacien (voir liste sur notre site)
Monsieur le Président, un grand nombre de Français comptent sur vous pour inviter les décideurs politiques à davantage intégrer l’idée que l’union s’enrichit de la diversité et à s’inscrire dans une démarche de rénovation d’un système né de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire, afin de l’adapter aux dynamiques politiques et sociales contemporaines. » (d’après le Manifeste alsacien pour une rénovation de la démocratie française, une demande citoyenne proposée par notre association en 2010 et qui a recueilli la signature de quelque 800 personnalités représentatives du monde politique, économique et culturel alsacien).
Veuillez agréer, Monsieur le Président de la République, l’expression de nos salutations respectueuses.
Pierre Klein