Lettre disponible sur ce LIEN
Madame la conseillère régionale, Monsieur le conseiller régional,
Dans le but d’expliquer notre positionnement quant à notre souhait de voir l’Alsace redevenir une Région de plein exercice, qui est aussi celui de très nombreux Alsaciens, nous vous adressons ci-dessous une contribution au débat que nous avons déjà fait parvenir au Président de la République, au Premier Ministre et à l’ensemble des Parlementaires.
Nous vous en souhaitons bonne lecture et espérons, sinon obtenir votre approbation, au moins être entendus et compris.
Ne préjugeons pas de l’avenir. Si l’Alsace devait retrouver un statut particulier additionnant compétences départementales et régionales, rien, trois rien n’empêcherait de dégager des intérêts communs et de les mutualiser avec d’autres régions. L’Alsace est rhénane. Il est dans l’intérêt de la France et des autres régions du Grand est de lui conserver sa rhénanité.
Acceptez nos salutations respectueuses.
Contribution au débat
Sortie de l’Alsace du Grand Est et retour de la région Alsace
Du statu quo à la rénovation ?
Une grande majorité de la société civile alsacienne et bon nombre d’élu(e)s alsaciens, qui souhaitent le retour à une région Alsace (1), sont suspendus aux lèvres du Président de la République et ne peuvent que s’en remettre, non sans être actifs à leur niveau, à son bon vouloir. Sur cette question, comme sur beaucoup d’autres tout dépend au final en France d’une seule personne. Alors que de l’organisation territoriale française revient au débat, le président de la République finira-t-il par donner satisfaction à la demande alsacienne ou ne le fera-t-il pas ?
Plusieurs modes opératoires seraient à sa disposition s’il voulait le faire. Ce qu’une loi (2) a fait, une autre loi peut le défaire. Ainsi pourrait-il recourir à un projet de loi ou à une ordonnance. Le cas alsacien pourrait faire l’objet d’une loi spéciale consacrée à l’Alsace ou être intégré dans une loi traitant des Collectivités en général ou encore d’une loi d’habilitation qui autoriserait le Gouvernement à prendre une ordonnance (3).
Des raisons pour lesquelles il ne le ferait pas !
Le Président de la République considèrerait que la réforme régionale aurait fait ses preuves, notamment en ce qu’elle permettrait de faire des économies d’échelle (4) et il trouverait grand intérêt à la survie et au développement du Grand Est. Il craindrait un effet domino. Lâcher sur l’Alsace serait à ses yeux ouvrir la boîte de Pandore (5), « Je suis aussi attaché à ce que l’on ne crée pas de nouvelles divisions. Je veux que les Alsaciens que j’aime, car je leur ai donné cette place, sachent que la région Grand Est leur apporte beaucoup » déclarait-il le 19 avril (6). Pour beaucoup, qui pensaient avoir un pied dans la porte, celle-ci se refermait.
L’Alsace ne serait qu’un enjeu politique secondaire aux yeux du Président de la République qui de surcroît ne serait pas convaincu du bien-fondé et -du plus- pour la France que présenterait le retour demandé.
Il reprendrait à son compte des propos de Madame Lebranchu (7), alors ministre en charge des Collectivités territoriales (8). La région disait-elle « est un outil institutionnel pas un outil de reconnaissance culturel ou historique ». Ce faisant, elle ne faisait qu’énoncer une réalité selon laquelle la région française n’est qu’un espace administratif, de surcroit dépourvu des pouvoirs et moyens en matière de sauvegarde et de développement des cultures et donc des identités régionales (9). Si donc des régions existent en France, elles ont été créées dans l’esprit jacobin (10) qui se veut d’unir le « même », en l’occurrence des clones de « territoires » neutres d’histoire et de cultures propres, et non le « différent ».
Or, ce que les Alsaciens déplorent le plus en ce qui concerne la disparition de l’ancienne région Alsace, c’est de ne plus être reconnus collectivement au travers d’une institution politique pleine et entière. La revendication en faveur d’une sortie de la CeA du Grand Est y est avant tout pour eux une question d’identité (11).
Enfin, le Président de la République n’aurait pas l’intention d’aller plus loin dans le pacte girondin (12) annoncé en 2017 que ce qui a été entrepris depuis (13).
Des raisons pour lesquelles il devrait le faire !
La question de l’avenir institutionnel de l’Alsace est intimement liée à celle de la culture politique française, notamment au centralisme, et donc de sa rénovation à la faveur d’un nouveau mode de gouvernance fortement décentralisé inscrit dans les identités régionales et vice versa.
Dans une longue interview réalisée par le magazine Le Point daté du 24 août 2023, le Président de la République disait « Nous devons poser la question de l’organisation territoriale, qui est confuse et coûteuse, et dilue les responsabilités. On voit bien qu’entre les communes, les départements et les régions, on a trop de strates et un problème de clarté des compétences. Ces sujets aussi doivent pouvoir être mis sur la table à la rentrée ». Plus loin dans l’article il émet le souhait de débattre de « notre organisation et nos institutions dans tous les territoires ». Ces propos ont redonné espoir à celles et à ceux qui pensent que l’occasion sera à saisir, si effectivement des réformes sont dans les tiroirs, pour relancer la question alsacienne.
Le Président de la République nous prépare-t-il une petite révolution girondine ? Nous le pensions déjà lorsqu’en 2018 il mettait le principe de différenciation au débat. Hélas, il n’est pas allé au bout de la logique. L’envisage-t-il maintenant ? La France est régulièrement tentée par plus de régionalisation, mais s’en effraie très vite au moment d’entreprendre, tant le centralisme imprègne l’esprit français.
Rompre avec les excès du centralisme serait redonner un nouvel élan à la démocratie qui se réalise véritablement qu’au travers du principe d’union dans la diversité, qui lui-même passe par la démocratie locale (14). C’est construire de la confiance !
Rompre avec les excès du centralisme serait rompre avec un mode gouvernance amplement hors sol (15) qui au travers de sa verticalité, de son éloignement des réalités de terrain et de sa mise à distance des individus et des collectivités contribue à amplifier les dépenses publiques, la dette publique, le déficit public (16), domaines dans lesquels la France bat des records (17). Si la France était fortement régionalisée, ne doutons pas des gains que cela produirait. Dans son récent rapport, la Cour des comptes ne pointait-elle pas le coût de la centralisation ? (18)
Les institutions décentralisées sont plus à même de réagir avec davantage de rapidité et de précision à des situations nouvelles que les structures centralisées, lesquelles, on le sait, sont moins réactives et prennent souvent des mesures qui ne répondent pas à des besoins avérés. Dans un système fortement régionalisé, la recherche de solutions se fait au plus près du citoyen, ce qui permet de contrôler plus efficacement la politique, mais aussi les finances publiques.
De plus, une forte décentralisation permet de parer dans une large mesure au problème de l’enchevêtrement des compétences grâce à la séparation verticale des pouvoirs qu’elle assure. Elle instaure un mécanisme perfectionné de « checks and balances », de poids et contrepoids, entre le centre et les collectivités territoriales et remplit une autre fonction essentielle, qui est de favoriser la concurrence entre les régions, source de créativité, d’émulation et d’innovation.
Enfin, une vraie régionalisation assure à la fois une protection des cultures et des identités régionales et permet aux régions de façonner leur cadre de vie de manière à préserver leurs particularités. La culture est à la base de tout et pas seulement la culture économique ou technique, et lorsqu’elle est double, nationale et régionale, elle en dédouble les impacts. C’est donc aussi par l’ancrage des régions, dans leur réalité géographique, historique et culturelle que l’on trouvera un nouvel élan.
Tout cela implique évidemment que les régions françaises seraient à doter de pouvoirs et de moyens bien supérieurs à ceux dont elles disposent actuellement. Et pour bien faire, ces pouvoirs et ces moyens devraient être adaptés aux situations régionales au cas par cas.
Le dynamisme des hommes et des sociétés est directement conditionné par leur sentiment d’identité. La reconnaissance de la diversité constitue un puissant moteur de développement pour les individus et les sociétés, en ce qu’elle donne le goût de se distinguer et les forces pour y parvenir.
Une identité régionale partagée et donc collective, autrement dit un agir et vivre ensemble voulu et construit et la possession d’un réseau durable de relations qu’il fonde, constitue un véritable capital social. Plus l’identité collective régionale est forte, plus le capital social sera fort et plus forte sera sa possibilité de faire fructifier le bien commun économique et culturel.
Si les identités régionales sont des identités françaises, leur avenir passe néanmoins par une évolution de l’identité française allant d’une francité refermée sur l’unicité de la langue, de la culture et de l’histoire vers une francitude ouverte à la propre diversité française. Autrement dit par une identité française construite sur le principe d’union dans la diversité, mieux encore par une identité unie par la valorisation de ses différences !
En conclusion, il reste à savoir si le Président de la République sortira du statu quo institutionnel parce qu’il sera convaincu de la nécessité d’une profonde rénovation porteuse d’avenir pour la France et ses régions. L’Alsace, qui voit ce qui se fait ailleurs, est bien placée pour l’appeler à une régénération de la République fondée sur l’acceptation de la pluralité et de la multipolarité, non pour elle-même, mais pour la démocratie, par impératif catégorique.
Nous appelons le Président de la République à intégrer l’idée que l’union s’enrichit de la diversité et à enfin rénover un système né de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire, afin de l’adapter dans l’intérêt de tous aux dynamiques politiques et sociales contemporaines. Il n’est pas trop tard pour la France pour devenir ce qu’elle aurait pu être !
Pierre Klein, président
Notes.
(1) Flash-back. La loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions avait ramené le nombre de régions de 22 à 13 et celle d’Alsace disparaissait purement et simplement. On peut se poser la question de son bien-fondé. Est-ce une bonne chose pour la France et pour l’Alsace ? Quoi qu’il en soit, la réforme territoriale mise en œuvre par le gouvernement Valls supprimant le Conseil régional d’Alsace a été très largement désapprouvée par les Alsaciennes et les Alsaciens. Déjà en 2014 lors d’un débat réunissant les élus des Collectivités territoriales alsaciennes (Conseil régional d‘Alsace et Conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin), 97 % des Conseillers se sont prononcés, dans leur délibération, contre la fusion de l’Alsace dans le Grand Est Une pétition signée par près de 117 000 Alsaciens demandait que soit organisé un référendum. Au même moment 270 communes (soit près du tiers des communes d’Alsace) avaient adopté une motion demandant à ce que l’Alsace soit maintenue dans son périmètre historique. Lors des débats au Parlement, aucun député ou sénateur alsacien n’a voté en faveur de la fusion. En 2019 dans une contribution de l’ICA (Initiative citoyenne alsacienne) au grand débat national, 274 grands élus d’Alsace, se sont exprimés en faveur de la création d’une collectivité Alsace à statut particulier, parmi lesquels 19 parlementaires, 139 maires, 77 adjoints, 28 CD, 7 CR et plus de 1800 personnalités représentatives du monde politique, économique et culturel alsacien. Le rejet de la disparition de la région Alsace a été confirmé par des sondages successifs (BVA, CSA et IFOP), par des pétitions et au printemps 2022 par une enquête organisée par la Collectivité européenne d’Alsace (CeA), tout comme plusieurs consultations. Le 23 avril 2023 la CEA a adopté à une écrasante majorité une résolution pour la création d’une région Alsace regroupant les compétences régionales et départementales. Que faut-il de plus pour faire entendre la demande alsacienne ?
(2) En l’occurrence la loi du 16 janvier 2015 évoquée ci-dessus.
(3) L’ordonnance devrait par la suite être ratifiée par le Parlement.
(4) Dans des domaines partagés d’interventions les anciennes régions Alsace, Lorraine et Champagne-Ardenne auraient aussi pu en faire au travers de mutualisations qui n’étaient en rien infaisables. Au terme d’une première mandature de fonctionnement, ni les économies annoncées ni la prétendue mise à niveau avec les régions européennes n’étaient au rendez-vous. L’inefficacité du « big is beautiful » s’est avérée, tout simplement parce que ce n’est pas par la taille que l’on trouve l’efficacité, mais par les pouvoirs et par les moyens de faire. Les Alsaciennes et les Alsaciens dans leur grande majorité se posent la question de savoir, considérant que la réforme n’a guère conféré plus de pouvoirs et de moyens aux régions, qu’a donc fait le Grand Est que l’ancienne région Alsace n’aurait pu faire ? Voir aussi : https://www.ica.alsace/proposition-de-proposition-de-loi-pour-la-creation-de-la-csp/
(5) Donner des idées à d’autres anciennes régions fusionnées voulant aussi un retour à la situation précédente.
(6) Cf. L’Alsace.
(7) Propos tenus Alsace en 2015. Cf. DNA du 25 avril 2015.
(8) Rapportés par les DNA du 25 avril 2015.
(9) Certes, il existe des régions telles que la Bretagne ou la Corse qui correspondent à une histoire et à une culture, mais ces dernières ne sont pas pour autant véritablement reconnues, valorisées et promues.
(10) Si le jacobinisme fait référence à un mouvement politique particulier de la Révolution, il est caractérisé depuis notamment la IIIe République par une culture politique dont l’objectif est de ramener le tout à l’un, en l’occurrence, la nation à l’unicité de l’État, la société civile à l’unicité du peuple et l’action publique à l’unicité de la loi. Il s’oppose en cela à un principe démocratique qui lui se veut d‘unir l’un et le divers. Républicanisme versus « démocratisme ».
(11) Au-delà, c’est évidemment aussi une question de pouvoirs politiques et de moyens financiers généraux, mais considérant qu’en la matière la région Grand Est n’en ayant guère plus que n’en avaient l’ancienne région Alsace, les Alsaciens souhaiteraient évidemment que soit créée une Collectivité alsacienne à statut particulier.
(12) Si le girondisme fait référence à un mouvement particulier de la Révolution, il est caractérisé par la suite comme étant un courant fortement décentralisateur, voire régionaliste.
(13) La loi 3DS (différenciation, décentralisation, déconcentration et simplification) n’a pas du tout constitué un nouvel élan ni, a fortiori, un nouvel acte de la décentralisation. Nous l’avons qualifiée de catalogue de salmigondis. On a pu parler également d’une loi « fourre-tout ». Cette loi (comme d’autres, malheureusement) est largement illisible, elle contient toutes sortes de dispositions, les unes utiles, d’autres qui le sont moins, d’autres parfaitement inutiles ou hors sujet, il faut en quelque sorte « faire son marché ». Les grands mots dont s’affuble son intitulé apparaissent dérisoires par rapport au contenu de la loi. Il est certain que nous aurons, dans les années qui viennent, une ou plusieurs lois sur les collectivités territoriales.
Quant à savoir quelles seront les prochaines réformes, il faudrait lire dans la boule de cristal… (en ayant toutes les chances de se tromper).
(14) Cette dernière prend tout son sens et ne peut être réalisée que par les voies d’un « fédéralisme territorial », autrement dit par le transfert de pouvoirs de décision, de parts d’autonomie à vrai dire, par l’État aux collectivités locales ou régionales dotées elles-mêmes d’institutions démocratiques. L’autonomie en ce qu’elle est l’opposée de l’hétéronomie, est consubstantielle à la démocratie ! Mais l’autonomie est un impensé français et la régionalisation est impossible dit-on en France.
(15) La France est un pays bien plus administré que gouverné.
(16) Dépenses publiques (58,2 % du PIB), de la dette publique (12,5% du PIB), du déficit public (4,7 % du PIB), prélèvements obligatoires (45,4 % du PIB).
(17) À cela s’ajoute notamment qu’il y a en France :
– deux séries de millefeuilles, celui des collectivités et celui de l’État et de son administration avec deux séries de fonctionnaires. Un total embrouillamini qui génère un gâchis d’énergie et de moyens financiers et nuit à la transparence démocratique,
– un républicanisme de l’État-nation dans lequel l’État et la nation sont confondus, tout comme la nationalité et la citoyenneté. Cette situation est source de confusion des pouvoirs,
– un parisianisme prégnant,
– une instabilité institutionnelle qui en réalité se traduit par l’immobilisme. De réforme en réforme, de déconcentration en déconcentration, jamais la vraie décentralisation n’a été opérée, c’est-à-dire celle qui se traduirait par un vrai transfert de pouvoirs et de moyens aux collectivités.
– une monarchie républicaine qui au fond n’est véritablement ni tout à fait monarchique ni tout à fait républicaine ou quand le défaut de l’un annihile l’avantage de l’autre.
– une multiplication des règles qui atteint son paroxysme.
De tous les grands pays développés, la France bat là aussi des records avec à la clé un coût financier certain et un frein majeur à l’initiative.
(18) Cf. DNA du 7 juillet 2023.