Alain Howiller revient sur le débat déclenché par le Premier Ministre Jean Castex lors de son allocution devant le Conseil de la « Collectivité Européenne d’Alsace ». Il a publié initialement cet article sur Eurojournalist et autorise ICA à le publier.
(Alain Howiller) – Même François Hollande, l’ancien Président qui n’a pas pu se représenter pour un deuxième mandat présidentiel faute d’avoir pu provoquer l’adhésion des Français aux résultats de son premier mandat, a cru devoir réagir. C’est lui l’auteur de cette réforme régionale qui avait, aussi, l’ambition inavouée d’essayer de préserver les intérêts socialistes dans des régions menacées par la droite et l’extrême-droite ! La réforme se trouve à nouveau, aujourd’hui, au cœur de l’une de ces guerres picrocholines dont l’Alsace a le secret et dont on trouvera, ici, quelques clé trouvées en… coulisses !
La réforme voulait créer de grandes régions susceptibles de mieux affronter la concurrence des grasses régions (notamment allemandes) de l’Union Européenne. La réforme devait notamment générer des économies d’échelle, ces économies que la Cour des Comptes, dans un rapport de 2019, n’avait pas trouvé. En Alsace, intégrée dans un vaste ensemble territorial dit du « Grand Est », on avait manifesté des réserves (c’est un euphémisme) devant cette réforme mise en place le 1er Janvier 2016 ! Plusieurs sondages avaient souligné ces réserves et une majorité d’Alsaciens souhaitaient même que l’Alsace sorte du Grand Est pour « retrouver son identité ».
Un désir d’Alsace et une petite phrase !… – Ce « désir d’Alsace » avait entrainé, on a pu suivre cet épineux dossier, la création, dans le cadre d’un Grand Est maintenu, de la « Collectivité Européenne d’Alsace (CEA) ». La création de cette entité nouvelle avait, d’entrée de jeu, suscité des réserves dans les départements qui avaient été fusionnées avec l’Alsace au sein de la grande région, elle avait généré des tensions entre la Région Grand Est et la plupart des responsables alsaciens. Le Président Jean Rottner, ancien médecin urgentiste, ancien maire de Mulhouse où il est toujours premier adjoint, élu en octobre 2017 président du Grand Est, a fait preuve d’une hostilité sourde vis à vis de la nouvelle collectivité dont il redoutait (non sans raison !) les éventuels empiètements sur les compétences et les prérogatives de l’institution territoriale qu’il préside.
Et sans surprise, Frédéric Bierry, à peine élu président de la nouvelle collectivité entrée en fonction le 1er Janvier, a profité d’une visite du Premier Ministre en Alsace pour rappeler qu’il considérait que la création de la CEA n’était pour lui qu’une étape vers un élargissement des pouvoirs accompagnant la fusion des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin : il souhaitait que sa collectivité élargisse ses compétences aux secteurs de l’économie et de la santé, jusqu’ici réservés à la région. Le tout, devait-il préciser dans une interview, en attendant le… démembrement du Grand Est !
Un président ministrable, une identité contestée – En rappelant que le Président de la République avait bien souligné qu’il n’était pas question que l’Alsace sorte du Grand Est, en insistant sur le fait qu’il fallait que la CEA engage des discussions de cohabitation avec la grande région, Jean Castex semblait avoir calmé le jeu. Mais, patatras, il a eu au cours d’un aparté, cette réflexion qui nourrit les soupçons : « …je vais vous faire une confidence : je n’ai jamais été convaincu par ces immenses régions dont certaines ne répondent à aucune légitimité historique et surtout ne me paraissent pas répondre aux besoins grandissants de nos concitoyens pour une action publique de proximité. » Les boucliers sortent et les couteaux luisent dans la pénombre de cet hiver exceptionnellement neigeux !
Jean Rottner, qui pourtant avait été annoncé « ministrable d’Emmanuel Macron » en Juin dernier, monte au créneau, condamne le propos du Premier Ministre, en appelle à Emmanuel Macron. Des élus lorrains condamnent cette menace de « Brexit Alsacien ». La responsable du groupe PS du Grand Est, au demeurant conseillère municipale strasbourgeoise, s’élève, une fois de plus, contre un « débat identitaire » : une notion qui, ici, a une signification sur fond « sépia » lorsqu’elle renvoie au séparatisme revendiqué avant la Première Guerre Mondiale ou prend des couleurs « brunes » lorsqu’elle s’appuie sur l’occupation et la Deuxième Guerre Mondiale !
« Les Alsaciens sont en train de se faire leur région et le Grand Est va être vidé de son sens ! », lance le responsable LR de Moselle. Et voilà que François Hollande, lui-même, oubliant la manière avec laquelle, selon ses propres déclarations, il avait dessiné les contours de sa réforme « avec un crayon, une carte et une gomme »(!), monte au créneau. De passage en Alsace, il défend les « grandes régions équilibrées » et lance : « la CEA est une réponse qui permet à l’Alsace d’être elle-même dans une grande région ! » Il met au défi le gouvernement de changer les spécifications des dispositions créant les grandes régions !
Au-delà de la « guerre des chefs ». – La polémique née, finalement, de la petite phrase prononcée en aparté par Jean Castex et par l’espèce de provocation initiée par Frédéric Bierry, évoquant la perspective d’un démembrement du Grand Est, ne doit pas faire oublier qu’elle s’inscrit dans un contexte particulier. N’oublions pas, d’abord, que le Premier Ministre connaît bien les dossiers alsaciens : n’a-t-il pas été, à Strasbourg, président de la Cour Régionale des Comptes entre 2001 et 2005 ? Il a, incontestablement, dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas : et pas seulement en Alsace ! Ses propos sont tombés à quelques mois d’élections régionales et départementales qui pourraient être délicates pour les protagonistes d’un conflit Région/CEA.
Le « mulhousien » Rottner entend conduire une liste aux élections régionales : pour retrouver sa présidence du Grand Est, il doit, face à la CEA, donner des « gages de régionalité compatible » ! L’exercice n’est pas facile, car le Premier Adjoint mulhousien qu’il est, ne peut pas prendre le risque d’hypothéquer la place de Mulhouse dans la CEA. De son côté, le président fraichement élu à la tête de la CEA doit peaufiner son image et affirmer sa volonté de faire réussir la nouvelle collectivité dont il entend retrouver la présidence -pour six ans- après les prochaines élections départementales.
Quel sera l’épilogue d’une pièce qui s’avère aussi être une « guerre des chefs » ? On peut s’interroger sur l’opportunité d’un conflit où les « egos » ne sont pas absents : le tout alors que les Français, déjà tentés par un abstentionnisme en constante progression, se montrent de plus en plus distants vis-à-vis « du » politique ! Et la Covid-19 continue de faucher des vies !