Charte européenne des langues régionales ou minoritaires :
Retour à la case départ ?
1. La position du Conseil Constitutionnel
En 1999 le Conseil Constitutionnel considérait que la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires était incompatible avec la Constitution française parce qu’elle :
– portait atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français ;
– et qu’elle tendait à reconnaître un droit à pratiquer une langue autre que le français non seulement dans la « vie privée » mais également dans la « vie publique », à laquelle la Charte rattache la justice et les autorités administratives et services publics ;
2. Sur l’instance de parlementaires et d’associations, le gouvernement se décide à relancer le processus de ratification de la charte. À cet effet, une première proposition, enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 décembre 2013, a été envoyée en commission. Sa formulation était la suivante :
Article unique
Après l’article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article 53-3 ainsi rédigé :
« Art. 53-3. – La République française peut adhérer à la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, signée le 7 mai 1999. »
3. La loi telle qu’elle a été adoptée par l’Assemblée nationale le 28 janvier 2014 comporte un article unique ainsi formulé :
Article unique
Après l’article 53-2 de la Constitution, il est inséré un article 53-3 ainsi rédigé :
« Art. 53-3. – La République peut ratifier la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires adoptée à Strasbourg le 5 novembre 1992, signée le 7 mai 1999, complétée par la déclaration interprétative exposant que :
« 1. L’emploi du terme de “groupes” de locuteurs dans la partie II de la charte ne conférant pas de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires, le Gouvernement de la République interprète la charte dans un sens compatible avec la Constitution, qui assure l’égalité de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ;
« 2. Le d du 1 de l’article 7 et les articles 9 et 10 de la charte posent un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution, en application duquel l’usage du français s’impose aux personnes morales de droit public et aux personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public, ainsi qu’aux usagers dans leurs relations avec les administrations et services publics. »
Pour l’adoption : 361 ; Contre : 149 ; Abstention : 19
4. Ce qui différencie les deux textes
La loi adoptée le 28 janvier 2014 insère dans la Constitution une « déclaration interprétative » qui expose, d’une part, que la Charte ne confère pas « de droits collectifs pour les locuteurs des langues régionales ou minoritaires » et, d’autre part, elle pose « un principe général n’allant pas à l’encontre de l’article 2 de la Constitution » qui énonce notamment que « la langue de la République est le français ».
5. Un point de vue
La loi adoptée le 28 janvier, qui doit permettre la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, se voit donc assortie de fortes réserves inspirées de l’interprétation du Conseil Constitutionnel. En l’état, n’aboutirait-elle pas en fait à vider de son sens la ratification, à revenir à la case départ et finalement à empêcher l’application des engagements signés par la France le 7 mai 1999 (39 sur les 98 que compte la Charte) ? Le Conseil Constitutionnel saisi par des opposants aux langues régionales ne pourrait-il pas, à l’avenir l’occasion d’une initiative prise en faveur des langues régionales, reprendre son argumentation de juin 1999 et l’annihiler ? Nous voulons bien nous tromper. Restons attentifs et là aussi agissons auprès de nos élus.
S’agissant d’une proposition de loi constitutionnelle, la Constitution prévoit que son adoption implique en plus d’un vote majoritaire des deux assemblées, une approbation par voie de référendum. Un tel référendum a fort peu de chances d’avoir un résultat positif et s’il devait se traduire par des résultats médiocres pour les langues régionales,
cela sera utilisé contre elles. On nous laisse entendre que si le Parlement adoptait le texte avec une forte majorité, le Gouvernement pourrait reprendre le texte à son compte et en faire un projet de loi constitutionnelle qui pourrait être adopté par le Congrès à une majorité des trois cinquièmes. À voir donc !
Pierre Klein 31/1/2014