Retour sur le référendum du 7 avril 2013 | Par Jacques Fernique
La conséquence principale de ce référendum, c’est que l’Alsace n’aura pas de Conseil Unique en 2015.
L’approbation par une courte majorité des suffrages d’Alsace n’a pas suffi : une majorité de 57,65% de OUI, nettement en deçà de ce qu’avaient mesuré les sondages successifs depuis 2 ans.
La participation citoyenne nécessaire a fortement manqué. 5 à 7 points de moins qu’aux cantonales, 10 points de moins qu’aux régionales. Ni dans le Bas-Rhin, ni encore moins dans le Haut-Rhin la barre des 25% d’inscrits favorables n’a été passée
Enfin et surtout plus de la moitié des votants du Haut-Rhin s’y sont opposés. 55,74% des votants Haut-Rhinois ont dit « Non », ce qui est le message le plus net et peut-être le plus inattendu de ce scrutin. Autant beaucoup prévoyaient que ça ne passe pas à cause de la participation, mais bien peu pronostiquaient un « Non » majoritaire dans le Haut-Rhin même si on se doutait que c’est là que ça serait le plus difficile.
Pour les écologistes, le verdict des urnes est d’autant plus difficile que nous n’avons pas fait de la figuration dans cette grande affaire d’Alsace.
Je vous avais dit en janvier combien et comment les écologistes s’étaient impliqués dans les phases d’élaboration du projet, combien ils avaient mis l’accent sur ce qui nous paraissait essentiel :
- la qualité démocratique (parité, pluralisme, majorité politique responsable, parlementarisation de la gouvernance décentralisée),
- la bonne articulation entre la force régionale et la dynamique des territoires vécus,
- plutôt que les exposés de spécialistes sur le mécano institutionnel nous avons mis en avant la cohérence et l’efficacité de l’action publique au regard des enjeux qui parlent à nos concitoyens (l’emploi, la formation, les transports, l’aménagement, l’égalité territoriale, l’identité et le dessein régional).
Nous avons, nous écologistes, fortement insisté pour démonter les faux arguments, les préjugés erronés. On peut dresser rapidement la revue de ces arguments à démonter :
- la République en danger d’éclatement,
- l’Alsace totalement déconnectée de la dynamique de réforme territoriale générale,
- un « Conseil multiple » qui serait une usine à gaz,
- la perspective d’une facture très salée pour l’Alsace avec un nouvel impôt spécifique,
- la liquidation de la garantie nationale du droit du travail,
- une large saignée pour les services publics territoriaux,
- le fameux « chèque en blanc » que serait un vote « Oui » sans connaître d’avance ni les politiques qui seront mises en œuvre, ni les décisions de la loi spécifique…
Il y avait de quoi faire en débat au cours des réunions publiques. Des réunions publiques les écologistes en ont assuré largement (20 de leur propre initiative du Nord au Sud de l’Alsace, 6 débats contradictoires montés par diverses structures, près de 10 débats radio-télévisés) : l’implication et la contribution des écologistes ont été largement reconnues. Nous nous sommes notamment investis dans le rassemblement de l’Autre Oui qui a permis d’écarter le risque d’un « monopole UMP » du Oui, qui a permis de nous démarquer clairement des défauts criants de la démarche compliquée des 3 présidents, des carences manifestes d’élaboration (le groupe « projet » n’a jamais pu jouer un rôle déterminant, l’ouverture au plus grand nombre a été zappée). L’appel de l’Autre Oui a aussi permis d’apprécier la convergence entre acteurs écologistes, socialistes, centristes, culturels, associatifs qui ont en commun de ne pas se reconnaitre dans la ligne des exécutifs de nos 3 collectivités, qui a permis enfin de travailler dans l’écoute des arguments légitimes de ceux pour lesquels ce n’était pas évident de voter « Oui ».
Ces efforts n’ont pas été concluants puisque la démarche a échoué. Reste que nous écologistes, nous ne regrettons pas notre campagne et notre engagement. Sans doute, nous avons fait quelques erreurs d’appréciation, quelques maladresses peut-être, nous avons sous-estimé certains signaux, certains contre-arguments qui nous semblaient tellement ridicules. Mais pour l’essentiel, parmi les écologistes qui ont travaillé sur le bilan, il ne s’en est trouvé à ma connaissance qu’un seul pour penser qu’il aurait peut-être mieux valu appeler à l’abstention, la quasi-totalité a maintenu notre consensus pour le « Oui ».
Quelques éléments saillants d’analyse du scrutin :
D’abord le poids du renoncement, du désintérêt citoyen. Certes cette fois il était relayé par quelques acteurs politiques qui portaient l’abstention ou le vote blanc. Reste que ça n’est pas bon pour la bonne santé de notre démocratie cette désaffection des urnes par une part si importante de la population. Nous ne pouvons pas faire comme si de rien n’était. D’autant que ce mécanisme de déstructuration démocratique touche d’abord et surtout la jeunesse. Tous ceux qui ont tenu des bureaux de vote constatent pour toutes les élections (sauf peut-être la présidentielle) que le suffrage universel devient un principe de moins en moins actif. Cette réalité on la connait, ce référendum nous l’a rappelée.
L’autre élément saillant de ce référendum est lui largement nouveau, largement inédit : c’est sa dimension géopolitique. On pourra en effet invoquer toutes les raisons possibles au vote « Non », c’est d’abord, c’est surtout, c’est essentiellement le clivage net entre le Haut-Rhin et la Bas-Rhin. A part quelques rares communes Bas-Rhinoises vosgienne (GrandFontaine, Plaine), d’Alsace bossue (Lorentzen, Rimsdorf) ou d’Outre-Forêt (Hatten, Forstfeld, Ingolsheim, Aschbach..), c’est le « Oui » qui est majoritaire partout dans le Bas-Rhin. Le « Non » passe la barre déterminante quasi-exclusivement dans les communes du Haut-Rhin : c’est donc d’abord l’appartenance départementale au Haut-Rhin qui a été déterminante dans ce vote « Non ». Face à cette affirmation du « Non » dans le 68, se distinguent de façon plus favorable au « Oui » :le secteur de Ste-Marie, Ribeauvillé, Kaysersberg, une dorsale traversant le département où certains identifient la route des Vins, Mulhouse et le secteur de Huningue.
C’est dans le Haut-Rhin que des responsables d’exécutifs et des Conseillers généraux ont le plus critiqué la démarche même s’ils faisaient mine d’y adhérer et c’est bien sûr là qu’ont porté fortement les outrances d’un Gilbert Meyer qui a su assurément faire vibrer des cordes très sensibles. D’autant que Colmar se savait particulièrement concerné par les questions d’équilibre ou de déséquilibre entre les agglomérations d’Alsace : la querelle du siège n’a pas été indolore. Entre les Colmariens et les Strasbourgeois ceux qui à tort ou à raison ont eu le plus le sentiment d’avoir à perdre dans cette fusion régionale ce ne sont pour sûr pas les Strasbourgeois, n’en déplaise à Roland Ries. Colmar est la seule grande agglomération urbaine d’Alsace à voter de cette façon, c’est assurément cette place particulière de Colmar dans le débat et son maire pour le moins atypique qui l’explique.
On retrouve par-dessus ce clivage géopolitique marqué, l’opposition entre une Alsace qui souffre plus fortement de la crise, des petites communes, des territoires qui se sentent relégués, déclassés, abandonnés, et une autre Alsace relativement mieux lotie, plus urbaine, qui se sent plus attractive, mieux reconnue. L’analyse des résultats par l’IFOP le montre assez clairement. On avait déjà senti ce clivage dans les élections précédentes, il s’amplifie encore cette fois. L’IFOP montre d’ailleurs nettement l’apport visible de l’électorat du Front National là-où le « Non » atteint ses records : on observe une corrélation quasi parfaite avec les communes où Le Pen a atteint ses records aux élections précédentes en Alsace. La corrélation est difficile à établir avec les scores du Front de Gauche, car celui-ci n’est pas un élément structurant durable de l’électorat d’Alsace. Pour l’électorat socialiste, si une corrélation est possible c’est plutôt avec l’abstention (c’est là où on vote le plus socialiste que l’abstention a été la plus forte).
Cela m’amène a évoqué la question Cahuzac, puisque selon Richert ce serait un des deux principaux responsables de l’échec. Il serait à mon avis excessif de réduire l’échec à un dégât collatéral du dégoût qu’a déclenché l’aveu du mensonge de ce Ministre. Reste quand même que ça fait partie du contexte et qu’on s’en serait bien passé. D’ailleurs ceux qui se sont fortement dépensés dans cette campagne, savent comment d’un coup ce scandale a occupé tout l’espace de l’entonnoir médiatique et comment nous n’avons pas pu profiter de cette dernière longueur de campagne où les projecteurs médiatiques nationaux permettaient enfin de mobiliser l’intérêt public.
Pour terminer mon bilan, j’espère que l’Alsace, ses citoyens, ses responsables politiques sauront tirer des leçons positives de cette démarche stoppée, qu’on n’en restera pas juste à l’idée d’une occasion manquée pour les uns ou d’un changement risqué voire nuisible qu’on aurait évité pour les autres. On ne peut pas juste dire « nous prenons acte » comme le font beaucoup de politiques aujourd’hui et reprendre le train-train ordinaire.
La fusion régionale ne se fera pas, oui, mais il ne peut pas être question de renoncer pour autant à l’efficacité régionale. L’Alsace ne peut être en panne. Ce ne serait pas acceptable face aux enjeux des crises, face aux défis de l’emploi, de l’écologie et de la solidarité.
Elle doit rebondir, certes en maintenant ses trois collectivités, mais avec plus de cohérence, et en tirant partie des possibilités des nouvelles lois de décentralisation. Nous écologistes nous savons combien une autre majorité politique claire et résolue saurait tirer profit de fortes compétences d’animation de la vitalité économique, de renouveau des ambitions d’aménagement durable du territoire, de modernité énergétique, de qualité culturelle et de performance des formations professionnelles.
Je ne sais pas ce que donneront les municipales de l’an prochain, les cantonales et les régionales de 2015. Mais je sais sur quoi nous serons attendus et appréciés : sur notre capacité à redonner sens et crédit à l’égalité territoriale, à tisser des liens de responsabilité entre les citoyens et leurs élus, à dessiner le visage d’une Alsace engagée et ouverte auquel puisse davantage s’identifier sa jeunesse. Parce qu’en définitive, et ce n’est pas vous qui êtes à convaincre là-dessus : c’est par la culture aussi que nous réussirons ou que nous échouerons face aux replis, aux désespérances, à la déstructuration démocratique. JF