Il faut renouer avec une région Alsace en premier lieu pour donner satisfaction aux Alsaciennes et aux Alsaciens qui ne cessent de dire que sa disparition par fusion au Grand Est ne le convient pas essentiellement pour quatre raisons au moins. Ce que les Alsaciens déplorent le plus dans l’état actuel des choses, c’est de n’être plus reconnus dans leur identité collective au travers d’une institution régionale propre pleine et entière. C’est donc avant tout une question d’identité.
Par ailleurs, ils se posent la question de savoir que fait donc la région Grand Est que la région Alsace n’aurait pu faire étant donné que la réforme régionale n’a guère donné plus de pouvoirs et de moyens aux régions et que le petit plus que les régions fusionnées ou non ont obtenu l’ancienne région l’aurait également reçu. Ensuite, ce que les Alsaciens contestent, c’est l’idée que c’est essentiellement la taille, le périmètre, qui donne de la puissance. Ils savent que ce sont les pouvoirs politiques et les moyens financiers qui donnent de la puissance. À ce titre, proches du Bade-Wurtemberg, ils font des comparaisons probantes[1].
L’Alsace se trouve à la croisée des chemins. Soit elle disposera à l’avenir des pouvoirs et des moyens lui permettant de définir et de gérer ce qui lui est propre, tout en définissant et gérant avec le reste de la nation ce qui est commun, soit elle disparaîtra dans les oubliettes de l’histoire, alignée qu’elle serait sur l’uniformité jacobine qui se veut d’unir les mêmes et non les différents et qui ce faisant créé des clones de « territoires » neutres d’histoire, sans identité, sans réel pouvoir et ayant tous les mêmes propriétés ou presque[2].
Revenir en arrière c’est-à-dire à l’ancienne région Alsace serait aux yeux des Alsaciennes et des Alsaciens un grand pas en avant, mais pas nécessairement un grand progrès. Un véritable progrès résiderait dans la mise en place d’une collectivité à statut particulier (CSP). Un simple élargissement des compétences de l’actuelle Collectivité européenne d’Alsace à celles de l’ancienne Région Alsace, à ses pouvoirs et moyens, n’y suffira pas, tant nombre de problèmes n’ont pas pu trouver de solutions dans ces cadres-là. La reconstitution d’une Région Alsace ne prendra son véritable sens que si elle est associée à une véritable démocratie régionale et locale. Pour ce faire, il faut introduire de l’audace dans la démarche et de l’innovation dans les propositions.
La démocratie appelle le principe d’union dans la diversité pour être parachevée, qui lui-même passe par la démocratie régionale et locale. Cette dernière prend tout son sens et ne peut être réalisée que par les voies d’un « fédéralisme territorial », autrement dit par le transfert de pouvoirs de décision, de parts d’autonomie à vrai dire, par l’État aux collectivités territoriales dotées elles-mêmes d’institutions démocratiques. L’autonomie en ce qu’elle est l’opposée de l’hétéronomie, est consubstantielle à la démocratie ! Mais l’autonomie reste un impensé français.
La centralisation se marque en France dans l’ancien régime d’une part, par l’institution monarchique, et d’autre part à l’époque moderne par l’autocratie napoléonienne. Ce n’est donc pas par les voies de la démocratie qu’elle s’est installée dans notre pays. Et si elle s’est desserrée, et a fait place à une certaine décentralisation, cette dernière repose davantage sur une conception administrative et technocratique que démocratique et l’État français ne reste pas moins dominé par un pouvoir hétéronome et la France un pays bien plus administré que gouverné. À ses dépens[3] et aux dépens de la démocratie !
Mais les Alsaciens sont pragmatiques. Ils savent que le jacobinisme est inscrit dans l’ADN français et que donc la grande révolution girondine n’est pas pour demain. Que faire alors ? La grande innovation qui serait à proposer, notamment par la classe politique alsacienne et à obtenir serait celle de la cogestion. Il s’agirait alors que l’institution politique nouvelle puisse cogérer les domaines non strictement régaliens (Défense, Justice, Monnaie, Politique étrangère et Police) avec les services de l’État en région, en l’occurrence les directions des préfectures de régions et de départements et le rectorat. Ne doutons de l’efficacité de telles cogestions qui pourrait à terme amener l’État à rompre avec sa méfiance traditionnelle à l’égard du fait régional. Vaste sujet que la classe politique n’a de toute évidence pas inscrit dans sa culture politique. Cela ne doit pas nous empêcher de déjà promouvoir le concept.
Au moment où, semble-t-il, la question de la décentralisation devrait revenir à l’ordre du jour du Parlement, les Alsaciennes et les Alsaciens, qui voient ce qui se fait en matière de démocratie régionale et locale en Bade-Wurtemberg et dans les Cantons suisses environnants, attendent de la classe politique qu’elle s’inscrive dans une démarche de rénovation d’un système né de la centralisation monarchique et du raidissement révolutionnaire et qu’elle s’attache à une régénération de la République fondée sur l’acceptation de la pluralité et de la multipolarité.
Pierre Klein
[1] À ce titre, proches du Bade-Wurtemberg, ils font des comparaisons probantes :. Budget Grand Est par habitant dans un État centralisé : 4 000 000 000/5 600 000 = 714 €, Budget B-W par habitant dans un État fédéral : 57 000 000 000/11 200 000 = 5090 €
[2] Il existe en effet des statuts particuliers en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française, aux Antilles, en Corse, à Paris…
[3] Le centralisme coûte très cher à la nation en pertes de créativité et en pertes financières, et contribue amplement au fait que la France a le niveau de dépenses publiques par rapport au PIB et le niveau de prélèvements obligatoires le plus élevé d’Europe, sinon du monde, sans pour autant que cela se traduise par un niveau de bien-être collectif inégalé.